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Par Rodrigue Turgeon

1er janvier 2015

Mon ami,

Je suis vraiment heureux de voir que tu passes du bon temps à Cuba. Après avoir tant bûché, tu peux être fier de ce que tu as accompli lors de cette fin de session si âpre, dans cette faculté si ingrate. Tu m’as dit que tu songeais à changer de programme. J’espère simplement que tu n’abuses pas trop du Rhum’n’coke. Voici pourquoi.

1898, La Havane. L’explosion du cuirassé américain « Maine » donna l’occasion à nos voisins du Sud d’entrer en guerre. Quelques mois plus tard, un fallacieux traité fut rédigé à Paris, accordant aux « Gringos » la gouvernance « provisoire » de Cuba. En réalité, les Ricains gagnèrent sur toute la ligne. Ils jouissaient dès lors de toute la latitude pour asseoir sur le trône de Cuba leurs pantins, leurs marionnettes. Passa d’abord Carlos Prio, mystérieusement évincé lorsqu’il avoua sa compassion pour les « progressistes » guatémaltèques.

Puis, vint le sergent Batista. Sous son règne, La Havane n’était plus seulement la capitale de l’île, elle devint celle du vice de toute l’Amérique latine. Misère et chômage mutaient les hommes en truands livrant leurs propres fillettes à la prostitution. Le ministre de l’Éducation jouait à Wall Street avec les vingt millions de dollars de son budget tandis qu’à peine 6% des enfants terminaient leur primaire. Le ministre des Finances, quant à lui, orchestrait le trafic de la drogue vers la Floride.

Vint un jour où toute cette perfidie rassembla les opprimés en leur indiquant la seule voie salvatrice: le chemin de la lutte. Si Karl Marx avait été vivant, il aurait scandé qu’il ne pouvait y avoir que deux issues à ce combat : la transformation révolutionnaire de la société tout entière ou l’anéantissement des deux clans. Mais Cuba ne rime pas avec communisme et Karl Marx n’est pas Fidel Castro.

Castro. Parlons-en puisqu’il est celui qui dirigea pendant deux ans les troupes rebelles et força, le 1er janvier 1959, Batista à fuir Cuba. Au-delà de l’ampleur de la tâche de reconstruire un pays croulant sous la corruption et la perversion, le rejet l’attendait, ce que lui vaudra, pour les cinquante-cinq années à venir, sa bravade à l’Oncle Sam.

Le rapport avec ta brosse au Rhum’n’coke? Commande ton dernier, tu le sauras bien vite. Alors donc, j’allais dire que le président des États-Unis répliqua à cet affront en envoyant 1 500 mercenaires envahir l’île. Mais les révolutionnaires remportèrent le duel et la bannière aux cinquante étoiles perdait « officiellement » pour la première fois une bataille en mer des Caraïbes. La colère de Washington atteint son paroxysme lorsque La Havane, prise de panique, appela en renfort le seul grand joueur qui ne l’avait pas encore rejetée: l’URSS. Sois sans crainte, je t’épargne l’épisode de l’embargo commercial imposé par Kennedy, les missiles nucléaires russes qui ont failli anéantir pas mal tout ce qu’on a de cher sur cette planète et les chansons de « Buena Vista Social Club ».

Retiens seulement qu’aussitôt que La Havane échappa à la pieuvre américaine, le monde entier l’accusa de vendre son âme au forgeron soviétique. Mais il n’en est rien. Fidel Castro lui-même déclara à Moscou en avril 1963 que « sans l’existence de l’URSS, la révolution socialiste aurait été impossible à Cuba. Mais cela ne signifie nullement que c’est la Russie qui a provoqué la révolution cubaine. »

En clamant sur tous les toits « qui n’est pas avec moi est contre moi », Washington réussit à convaincre la planète engourdie par la guerre froide que Cuba, étant contre le capitalisme, n’avait d’autre choix que d’être communiste. Castro avait beau affirmer : « nous sommes contre le communisme », les accusations dégoûtées de l’Occident suffisaient à stigmatiser les insulaires.

Camarade, ce que je tente de te dire c’est que même si tu décides de quitter notre programme, je ne te rejetterai jamais. La vie n’est pas ce système binaire que trop d’abrutis conçoivent.

Il n’y a pas que le capitalisme ou le communisme. Il y a, quelque part au-dessus de tout ça, une mouvance cubaine et « la plus importante ambition révolutionnaire, qui est de voir l’homme libéré de son aliénation. »

Il n’y a pas que des gagnants ou des lâches. Il y a, au-dessus de tout ça, toi et ta plus importante ambition : être heureux en étant ce que tu es.

Depuis peu, Washington et La Havane marchent dans la voie de la réconciliation. Obama a reconnu qu’« on ne peut continuer à faire la même chose et obtenir des résultats différents ». Je suis certain que tu crois à la même chose concernant ton avenir.

Tu dois avoir fini ton verre. J’ose espérer que ce sera ton dernier Rhum‘n’coke. Je te propose un drink qui s’appelle « Cuba libre ». C’est la même chose, sauf que tu ajoutes, au-dessus de tout ça, un soupçon de lime.

Hasta la amistad siempre

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