Ven. Juil 26th, 2024

Par Yedidya Ebosiri

Un enjeu, deux camps et une poignée de juges : depuis trois semaines, la question du droit à l’avortement plane sur le territoire américain. La rare fuite de l’avant-projet d’une décision juridique menace l’arrêt Roe c. Wade, qui légifère l’interruption volontaire d’une grossesse. La Cour suprême des États-Unis est sous le feu des projecteurs et anime un débat qui prend les médias d’assaut. Tandis que les militants proavortement s’indignent de ce retour de 50 ans en arrière, les manifestations anti-choix prolifèrent en Amérique du Nord. Il faut croire que dans cette atmosphère tendue, le malheur des uns fait le bonheur des autres.

« Interdiction totale d’interrompre volontairement la grossesse, et ce, peu importe les circonstances. » Voilà l’esquisse du destin de la gent féminine si la conclusion du juge Samuel Alito est retenue par le plus haut tribunal américain. Concrètement, l’avortement ne serait plus un droit garanti par le fédéral; la décision d’interdire ou d’autoriser cet acte reviendrait à chaque État.

L’Institut Guttmacher, un groupe de réflexion sur le droit à l’avortement, prévoit que la moitié d’entre eux emploient des mesures législatives restrictives. Au premier rang, le Tennessee, la Louisiane, l’Alabama et bon nombre d’États sudistes dont le conservatisme est bien connu. « On va avoir deux États-Unis », souligne Valérie Beaudoin, chercheuse associée à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. « On va avoir un endroit où on peut même criminaliser l’avortement, d’autres endroits où ça va être plus facile d’avoir un accès », affirme-t-elle lors sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle.

Un clivage important

Redoutée par plusieurs experts, cette disparité d’accessibilité semble au cœur de la discussion. Pourtant, elle ne date pas d’hier : malgré l’arrêt Roe c. Wade, chaque État conserve son mot à dire quant à l’accès à l’avortement. Certains amendements constitutionnels instaurés notamment au Mississippi limitent actuellement cette pratique. De toute évidence, la créativité est de mise si l’on en croit une ancienne loi qui exigeait le consentement de l’époux d’une femme souhaitant mettre un terme à sa grossesse. Trimestre en cours, viabilité du fœtus : les angles d’attaques des législations antiavortement sont variés pour restreindre ce droit constitutionnel.

Si les 26 États visés par la prévision de l’Institut Guttmacher passent à l’action, les Américaines concernées pourraient faire l’objet de poursuites criminelles si elles tentaient d’interrompre leur grossesse. Les Californiennes, elles, profiteraient de la réduction des frais liés à cette procédure en prévision de l’annulation Roe c. Wade. Cela renforce inévitablement le caractère hétérogène du droit à l’autonomie corporelle aux États-Unis. Pour l’instant, rien n’est officiel et le suspense perdurera fort probablement pour deux autres mois. En attendant la décision finale du plus haut tribunal américain, rappelons que tout n’est pas perdu… ni gagné.

Pour ou contre?

Autrefois tabou, le sujet de l’avortement représente aujourd’hui l’émergence d’une nouvelle génération dont les mœurs diffèrent de celles de ses prédécesseurs. De plus en plus d’entreprises américaines prennent part au débat et se rangent du côté pro-choix. Apple et Levi Strauss ont notamment promis de couvrir les dépenses de leurs employées qui auraient à se déplacer dans un autre État pour un avortement. Amazon et Uber ont pris un engagement similaire depuis l’adoption de la loi texane qui encadre l’interruption volontaire de grossesse dans un délai maximal de six semaines.

En Floride, un État où coexistent étroitement républicains et démocrates, l’organisation Florida Voice For The Unborn est en faveur de l’invalidation Rode c. Wade. Le mouvement pro-vie au Canada emboîte le pas par une série de mobilisation dans la capitale.

Le débat s’invite au Canada

L’attente de la décision américaine semble galvaniser les troupes canadiennes antiavortement. Le directeur des Activités politiques de l’organisme antiavortement Campaign Life Coalition, Jack Fonsecca, se dit plein de « courage et d’espoir ». La politique, elle aussi, s’en mêle : le lobby anti-choix s’appuie notamment sur la députation conservatrice canadienne pour mener à bien sa mission.

Le droit à l’avortement serait-il en péril d’un océan à l’autre ? Selon Louise Langevin, avocate et professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval, il peut être fragilisé. « Ça ramène la question à l’avant-scène, » introduit-elle lorsque la question lui est posée par Guy A. Lepage, l’animateur de Tout le monde en parle. Cependant, elle rappelle qu’aucun cadre légal ne limite la pratique. Fondé sur le droit à la sécurité, le droit à la liberté et le droit à l’égalité, celui de l’autonomie procréative est bel et bien protégé sur le sol canadien. D’ailleurs, le premier ministre Trudeau a récemment indiqué qu’il veillerait à ce que la juridiction entourant l’interruption involontaire de grossesse en assure l’accès.

Pour accéder à la procédure…

« Ça dépend vous êtes qui, ça dépend vous êtes où et ça dépend du stage de votre grossesse […] », répond l’omnipraticienne Geneviève Dubois à la question de l’accès à l’avortement au Canada. Si la légalité n’a pas de quoi inquiéter les principales concernées, l’accessibilité à l’avortement demeure un enjeu de taille. En région ou en zone maritime, les délais d’attente sont parfois interminables. Pour les femmes aux statuts migratoires, la démarche est d’autant plus complexe sachant que les frais sont uniquement couverts par les détentrices d’une assurance maladie valide.

Et même au Québec où se concentrent près de la moitié de tous les points de service du pays, l’avortement demeure un soin de santé particulièrement tumultueux considérant le nombre de rendez-vous qu’il implique. Mieux que chez le pays voisin ? « C’est moins pire », nuance Dr Dubois.


Crédit image @ Gayatri Malhotra

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