Ven. Avr 12th, 2024

Societe-Edito-Madame_Sasha_VilleneuvePar Rodrigue Turgeon

«Il prit une allumette, la frotta, l’alluma et la brandit devant moi.

– Je ne crois qu’à la science. La physique, la chimie suffisent à tout expliquer. Ainsi, dis-moi d’où vient la flamme?

Je saisis l’allumette et soufflai la flamme.

– Voilà. Si tu me dis maintenant où est allée la flamme, je te dirai d’où elle vient.»

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La veille de Noël, les étudiants de la faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke (FATER) ont reçu deux annonces. La première : ils étaient conviés à l’exécution sur la place publique de leur propre faculté le 30 avril 2015. La deuxième : on comptait sur eux pour garder la foi. Et en silence, je vous prie.

Le couperet de la rectrice Luce Samoisette plane depuis. Alors, comment se sent-on, entre les murs de la FATER?

Posez la question au corps administratif de la condamnée, on vous répondra sans ambages que les quelques étudiants inquiets qui téléphonent, alarmés, sont sitôt rassurés. «Non, on ne fermera pas… Oui, ce n’est qu’un changement de dénomination… Non, vous ne perdrez pas votre diplôme… Oui, vous allez pouvoir finir vos cours.»

Mais si vous osez défier la sainte parole de l’administration, des étudiants de la FATER consternés, atterrés et incrédules, vous en trouverez des dizaines à la ronde. «On nage dans le néant. C’est plus qu’un sentiment de perte de confiance qui s’installe ici», m’explique un étudiant qui n’hésite pas à dire que la certitude, à l’époque, de recevoir un diplôme facultaire influença positivement sa décision de venir étudier à Sherbrooke.

Même son de cloche auprès d’une ancienne étudiante qui, jusqu’au prononcé de la sentence, aspirait à obtenir une maitrise à la FATER. «Sans que ce soit le seul facteur, c’est assurément celui qui m’a le plus convaincu à mettre un terme à ce projet», me confie-t-elle. Car l’enjeu n’est pas simplement de remettre en doute la valeur d’un diplôme aux allures d’épitaphe, mais bien de spéculer sur la place que notre société désire accorder à l’étude sérieuse de notre spiritualité collective.

Ce serait cloisonner son esprit que de taire l’opinion partagée par plusieurs qu’une faculté de théologie n’a plus sa place dans notre société laïque. Mais ce serait pire que de laisser se propager cet infâme raccourci intellectuel. Je vous cite Nietzche dans La Volonté de puissance : «Proclamer l’amour universel de l’humanité, c’est accorder la préférence à tout ce qui est souffrant… Pour l’espèce, il est nécessaire que le dégénéré périsse.» Vous ralliez-vous à sa doctrine?

Cette question, pour toute la procession de lourdes conséquences qu’elle entraine, mérite d’être traitée avec les plus grandes considérations. Pour y répondre le plus sagement, basons-nous sur des fondements spirituels. Vous verrez, c’est loin d’être futile ou trop easy pour le calibre universitaire.

Commençons par les enseignements bouddhistes: «Même si l’on te frappe avec un couteau, ton état d’esprit ne doit pas changer, tu répondras par la compassion et l’amour.» (Majihima Nikaya, 21, 6).

Ce à quoi nous répondons : Je vous aime, bourreau de la FATER, je vous aime, Luce Samoisette!

Pour la suite des choses, fusionnons corps et âme avec Socrate. Devant un jury tout sauf transparent, il clama : «Qu’il arrive tout ce qu’il plaira aux dieux, il faut obéir à la loi, et se défendre!» (Apologie, 19a). Il savait son procès perdu d’avance, qu’on s’apprêtait à l’abreuver de ciguë. Mais ça ne l’empêcha pas de se battre. Non pas pour sa vie, mais pour l’âme d’Athènes, comme il l’avait toujours fait. Ça vous rappelle quelque chose?

Tout comme la FATER, Socrate avait des alliés. Ils lui offrirent un plan d’évasion sans faille. Or, pour celui qui avait professé toute sa vie pour la justice, l’idée de fuir était plus insupportable que la mort. C’est exactement le même discours qu’ont tenu tous les élèves de la FATER que j’ai rencontrés. Mais que peuvent-ils si on les ignore et que l’administration manque à ses obligations de transparence?

Je suis tout aussi méfiant qu’ils le sont «face à l’abolition d’une réalité enviable (une faculté) au profit d’une réalité virtuelle sans âme (un centre universitaire interdisciplinaire sur le religieux contemporain)» comme on peut le lire dans un communiqué faisant office de pétition adressé publiquement à la rectrice Luce Samoisette et leur doyen Pierre Noël.

Mme Samoisette, si vous pouviez prêter serment que votre plan n’affectera pas la santé spirituelle de notre société – à commencer par la vôtre – vous pourriez, je le crois, accéder au paradis.

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Qu’est-ce que cette flamme, sinon l’amour? L’amour… La plus grande irrationalité de l’Univers. Lui seul possèdera à jamais le pouvoir de tout remettre en question. Même la science.

«L’amour est cette force universelle aveugle qui nous pousse sans cesse à rechercher ce qui nous manque, et qui ne demande qu’à être éduquée, maîtrisée et ordonnée.» (Frédéric Lenoir).

Je ne veux pas d’un peuple recyclant sa foi collective dans une Sainte-Flanelle, je ne veux pas d’un peuple impassible devant la renonciation à sa spiritualité. Je ne veux que d’un peuple amoureux qui s’embrase.

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