Par Frédérique Maysenhoelder

L’intelligence artificielle n’est plus un concept d’avenir : elle transforme déjà les métiers de la communication et du marketing. C’est dans cet esprit que s’est tenue, le 9 octobre, la troisième journée sur les disruptions numériques en communication et marketing à l’Université de Sherbrooke (UdeS). Chercheurs, experts du milieu et étudiants se sont réunis pour réfléchir aux bouleversements technologiques qui redéfinissent le paysage médiatique, créatif et stratégique.
L’événement, qui s’inscrit dans la volonté du Département de communication de favoriser le dialogue entre recherche et pratique, a été coordonné par une équipe universitaire engagée. Parmi eux, le professeur Julien Pierre a contribué à son organisation et à l’animation d’un panel.
Quand la technologie bouscule les repères
La journée a débuté avec une conférence d’ouverture de David Marotte, associé chez KPMG Québec. Ce dernier a dressé un portrait clair de la situation : l’intelligence artificielle n’est plus un outil périphérique, mais un moteur de transformation au cœur des organisations. Selon lui, les entreprises doivent désormais repenser leurs structures, leur gestion des données et leurs pratiques éthiques pour suivre le rythme de l’automatisation.
Cette réflexion s’inscrit dans une évolution qui remonte à plusieurs années, comme le rappelle Julien Pierre : « En 2022, on ne parlait pas encore d’intelligence artificielle, mais plutôt de métavers, de réalité augmentée, de réalité virtuelle et de chaînes de blocs. Ces sujets suscitaient déjà des tensions dans les métiers de la communication et du marketing. » Il ajoute : « On sentait déjà que les intelligences artificielles allaient changer beaucoup de choses, et le terme disruption s’est imposé pour décrire ces transformations. »
Des experts qui redéfinissent le rôle des communicateurs
Les différents panels ont abordé les multiples facettes de cette révolution numérique. Lors du premier, Martin Aubut (Nesto) et Xavier Szwengler (Transat) ont discuté de la nécessité pour les entreprises de préserver leur authenticité dans un univers de plus en plus automatisé.
Le deuxième panel, rassemblant Karine Courtemanche (Plus Compagnie) et Stéphane Mailhiot (Havas Creative), a mis en lumière le rôle changeant des agences, désormais appelées à agir comme stratèges technologiques et garantes d’une utilisation éthique de l’IA.
Cette diversité d’approches reflète la volonté du comité d’organisation de représenter les multiples acteurs du secteur. Comme le précise Julien Pierre, « des professionnels de la communication ont été invités pour qu’ils partagent leurs expériences et leurs apprentissages, afin qu’on puisse repenser nos formations et les compétences à transmettre aux étudiants. »
Des objectifs en constante évolution
Chaque édition est l’occasion de dresser un bilan et d’ajuster la formule pour mieux refléter la réalité du milieu. « Après chaque événement, on fait un post mortem pour voir ce qui a bien fonctionné et ce qu’on peut améliorer », indique le professeur.
« L’an passé, on parlait surtout des grandes entreprises et pas assez des PME. On a voulu corriger ça cette année en diversifiant les points de vue, notamment du côté des agences. Et il faut encore donner davantage la parole aux étudiants, c’est un axe de progression très clair. »
Cette volonté d’inclusion s’accompagne d’un regard critique sur l’évolution rapide des technologies et leurs répercussions concrètes sur la profession. « Je suis un éternel insatisfait, avoue Julien Pierre. Il faut encourager des discours plus nuancés et critiques face à l’IA. »
L’IA agentique : une révolution encore plus profonde
Au dîner-conférence, Jean-Sébastien Giroux, fondateur d’Hologram, a captivé l’auditoire avec sa présentation sur le passage de l’IA générative à l’IA dite agentique, une forme d’intelligence artificielle capable d’agir de façon autonome. Il a posé une question qui a résonné tout au long de la journée : comment garder la créativité humaine vivante dans un univers où les machines peuvent déjà concevoir, décider et exécuter ?
Ce questionnement rejoint l’un des constats du professeur Pierre : la technologie bouleverse non seulement les outils, mais aussi les repères éthiques et pédagogiques. « Les considérations éthiques, environnementales, sociales et politiques ont très peu été abordées », reconnaît-il. Un constat lucide qui met en lumière la nécessité d’intégrer davantage ces dimensions dans les prochaines éditions.
Apprendre en expérimentant la disruption
L’après-midi a été marquée par des ateliers interactifs où les personnes participantes ont pu manipuler différents outils d’IA, explorer des scénarios de communication augmentée et tester des rédactions assistées. Ces exercices concrets ont permis de mesurer la puissance, mais aussi les limites des technologies actuelles.
Une étude de cas présentée par Nesto et Hologram a démontré comment une architecture multi-agentique peut réduire drastiquement le temps de conception marketing, passant de deux jours à deux minutes. Si cette efficacité impressionne, elle soulève aussi des questions sur la qualité du contenu et la responsabilité humaine dans le processus créatif.
Vers une communication durable et responsable
Dans un autre panel, Véronique Demers (Kombi), Annie O’Farrell (Vooban) et Guillaume Martin (Avril Supermarché Santé) ont échangé sur la transformation du commerce électronique à l’ère de l’IA, où la personnalisation et la rapidité deviennent des facteurs clés, mais où l’éthique et la confiance du consommateur restent essentielles.
Pour Julien Pierre, ces discussions ne doivent pas contourner la responsabilité sociale des communicateurs : « C’est peut-être de la responsabilité des professionnels de la communication d’éduquer leurs clients à avoir des stratégies soutenables socialement et environnementalement. »
L’humain au centre des décisions
Si un fil conducteur s’est imposé durant la journée, c’est bien celui du rôle incontournable de l’humain dans l’équation technologique. Les intervenants ont été unanimes : la valeur du jugement critique, de la créativité et de l’empathie ne peut être remplacée par un algorithme.
L’intelligence artificielle peut amplifier les capacités humaines, mais c’est à l’humain de conserver le contrôle, de poser les bonnes questions et de tracer les limites.
Un espace de dialogue entre milieux universitaire et professionnel
La journée s’est conclue dans une atmosphère conviviale lors d’un cocktail de réseautage où les échanges entre chercheurs, étudiants et professionnels se sont multipliés. Tous sont repartis avec la même impression : la disruption numérique ne se subit pas, elle s’apprend et se pense collectivement.
En fin de compte, cette troisième journée sur les disruptions numériques aura permis de rappeler une vérité essentielle : l’innovation n’a de sens que si elle reste au service de l’humain. La créativité, l’éthique et la pensée critique doivent demeurer les boussoles qui orientent les communicateurs et les spécialistes en marketing dans un monde où la technologie évolue plus vite que jamais.
Crédit : Frédérique Maysenhoelder