Des élections historiques en Syrie après un demi-siècle de dictature

Par Grégoire Bouley

Le président par intérim Ahmed Al-Charaa lors de sa première visite officielle en France le 7 mai 2025. 

La Syrie s’apprête à vivre un tournant historique. Le 5 octobre, des élections législatives seront organisées pour la première fois depuis la chute du régime de Bachar Al-Assad, mettant fin à plus de cinquante années de régime autoritaire dominé par la famille Assad. Cet événement, présenté comme une étape vers une transition démocratique, attire à la fois l’attention et les critiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. 

Depuis le départ forcé de Bachar Al-Assad, un président par intérim, Ahmed Al-Charaa, a été nommé pour piloter la transition politique. Le nouveau président a multiplié les déclarations en faveur d’une reconstruction démocratique de la Syrie. Ces élections législatives doivent ainsi permettre la mise en place d’une Assemblée du peuple transitoire, dotée d’un mandat de deux ans et demi, selon la déclaration constitutionnelle adoptée en début d’année. 

Cependant, le processus reste étroitement encadré par le pouvoir exécutif. Un comité central composé de onze membres a été chargé de superviser le scrutin. Ce comité désigne à son tour des sous-comités dans chaque district du pays, responsables de la constitution des collèges électoraux. Ce sont ces mêmes comités qui sélectionneront 140 des futurs députés. Le président par intérim, de son côté, disposera du pouvoir de nommer directement un tiers des membres de la nouvelle Assemblée. 

Un scrutin indirect aux allures de compromis 

Officiellement, le choix d’un scrutin indirect est justifié par les autorités en raison du contexte sécuritaire et humanitaire. La guerre civile qui a ravagé la Syrie pendant plus d’une décennie a entraîné le déplacement de millions de personnes, fragilisé les infrastructures et rendu l’organisation d’élections directes quasi impossible. Les médias d’État affirment ainsi que cette méthode constitue « la meilleure option pour garantir la tenue du scrutin dans des conditions acceptables ». 

Des exclusions qui interrogent 

Néanmoins, de nombreux observateurs dénoncent une approche qui limite fortement la représentativité. L’opposition syrienne, encore très fragmentée, estime que ce mode de désignation concentre un pouvoir excessif entre les mains du président intérimaire et marginalise plusieurs composantes de la société syrienne. Les communautés kurdes et druzes, notamment, affirment que leurs revendications spécifiques n’ont pas été prises en compte lors de l’élaboration de la déclaration constitutionnelle. 

Le processus électoral est aussi marqué par des exclusions politiques significatives. En février dernier, Ahmed Al-Charaa avait convoqué une conférence nationale de dialogue, mais seuls les groupes acceptant de coopérer avec les forces armées de l’État y avaient été conviés. Les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes et pourtant actrices majeures du conflit, ont été tenues à l’écart. Ces choix alimentent les critiques d’une transition conçue davantage comme une continuité du système autoritaire que comme une rupture véritable. 

Une surveillance internationale annoncée 

Face aux doutes, la commission électorale a promis que le scrutin serait surveillé par des organisations internationales, sans préciser lesquelles. Elle a également annoncé la mise en place de mécanismes de recours permettant de contester les listes électorales et les résultats. Cette ouverture reste cependant perçue avec scepticisme, beaucoup rappelant que les précédents engagements en faveur de la transparence avaient rarement été respectés.  

Ces élections législatives représentent un moment historique pour la Syrie, mais elles ne garantissent pas une véritable démocratisation. Si elles marquent une rupture avec l’ère Assad, elles soulignent aussi la persistance d’un contrôle strict du pouvoir exécutif et la fragilité des institutions en reconstruction. L’issue du scrutin et la capacité de la future Assemblée à incarner la diversité syrienne seront déterminantes pour savoir si le pays s’engage réellement sur la voie d’un renouveau politique ou s’il demeure prisonnier de l’autoritarisme.


Source : Getty Images

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