Par Noémie Noël

Montée de lait, crise de nerfs, pétage de coches, hystérie… À en croire les médias ces dernières semaines, une femme qui possède une opinion politique et qui la défend devrait être internée. Ces derniers temps, plusieurs exemples sont ressortis qui exposent ce constat. Un extrait circule où Yasmine Abdelfadel argumente avec Mathieu Bock-Côté au sujet du voile, mais il n’y a que Mme Abdelfadel qui se fait reprocher de lever le ton. Magali Picard, présidente de la FTQ, s’est, quant à elle, fait reprocher son ton agressif en commission parlementaire.
Afin de mieux comprendre pourquoi il apparaît si intuitif de discréditer les femmes qui s’impliquent dans le politique à l’aide de mécanismes discursifs infériorisant, voire infantilisants, retraçons la petite histoire des femmes et de la politique au Québec.
Une implication pérenne
Bien que la politique ait longtemps été un domaine dans lequel seuls les hommes travaillaient, on tend collectivement à minimiser les opinions, les implications et les impacts des femmes sur le fait politique.
L’histoire ayant beaucoup été écrite au masculin, on peut avoir l’impression que la condition féminine au Québec en a toujours été une de domesticité, de silence, d’absence. Dès les débuts de la colonisation, les femmes — autant autochtones qu’allochtones — ont joué les rôles les plus essentiels dans la société. Les vies des hommes ayant alors été caractérisées par l’absence, la traite et la guerre, ce sont les femmes qui s’occupent de la subsistance, des finances et des affaires juridiques.
Ainsi, les femmes cumulent des responsabilités fondamentales qui impliquent une participation aux mécanismes du politique. Sans pouvoir elles-mêmes être juges ou intendantes dans les colonies, elles utilisent leurs réseaux et leurs capitaux pour bien placer les membres de leur famille. Conscientes des limitations légales liées à leur sexe, elles sont néanmoins bien versées dans le fait politique et savent à qui se plaindre ou avec qui s’allier pour obtenir ce qu’elles désirent pour elles et leurs proches.
Loin de limiter leur implication politique, leur exclusion de fait a plutôt contribué à la création de réseaux substituts pour exprimer leurs revendications et leurs opinions.
La justification de l’exclusion
Lors de la Conquête britannique, une ambiguïté de l’Acte constitutionnel de 1791 fait en sorte que certaines femmes de la province se voient octroyer le droit de vote en vertu de leur statut de propriétaires ou de locataires. Cependant, ce droit de vote est officiellement aboli pour les femmes en 1834.
Plusieurs hommes politiques influents justifient cette législation en disant qu’il s’agit d’un « privilège contraire à [la] nature de mère et d’épouse » (Louis-Joseph Papineau). Ce point de vue persiste. Confronté aux revendications suffragistes de 1928, le député provincial Joseph-Éphraïm Bédard s’y oppose aussi en apportant l’argument que « la loi de la femme, le seul droit de la femme est en regard de la maternité ». Il apparaît alors qu’écarter la femme de la vie publique est un objectif avoué. Dans la même lignée argumentaire, le Cardinal Villeneuve écrit en 1940 que le suffrage féminin va à l’encontre de la hiérarchie familiale, qu’il exposerait les femmes aux passions de l’électoralisme, et qu’il vaut mieux que les organisations féminines restent en marge de la politique. C’est en ayant recours au rôle domestique des femmes, à leur rôle de mère, et à leur émotivité, que les hommes justifient leur exclusion.
Il faudra donc lutter longtemps politiquement et juridiquement pour remporter la bataille du suffrage au Québec, et ce n’est qu’après 14 projets de loi menés par une énième délégation de femmes que le projet réussit finalement en 1940 (1969 pour les femmes autochtones).
Même sans avoir le droit de vote, les femmes ont donc toujours lutté politiquement à travers les canaux qui leur étaient accessibles. En revanche, l’obtention du suffrage leur a ouvert de nouveaux champs de bataille.
Du suffrage à l’accès au pouvoir
Les femmes étendent donc petit à petit leurs actions politiques vers les terrains plus officiels, cherchant à obtenir des positions de pouvoir — médiatiques ou politiques — au sein de mondes jusque-là très genrés. Inutile de dire que cela cause des remous, des insatisfactions ou des peurs chez plusieurs hommes qui voient ces incursions d’un mauvais œil.
La première candidature féminine à une élection a lieu en 1947, mais c’est seulement en 1961 que Marie-Claire Kirkland devient la première députée à l’Assemblée nationale du Québec, puis la première femme ministre en 1962.
Dans un premier temps, on tente de reléguer les femmes à des départements précis qu’on associe aux « talents féminins », comme les affaires sociales, la famille ou l’enfance. Cette approche est cependant de plus en plus critiquée, et, lorsque la nouveauté de l’inclusion s’effrite, les revendications reprennent. Plutôt que de voir leur expérience de vie domestique comme une prison — une finalité de la condition féminine — plusieurs femmes la considèrent davantage comme un atout qui les qualifie à des positions plus importantes : « Bien des femmes sont ministres des Finances et ministres de la Justice dans leurs foyers, pourquoi ne leur confierait-on pas ces postes au gouvernement ? », affirme Me Louise Hamelin en 1975.
Mais un autre mécanisme persiste, soit celui de référencer la « nature féminine » pour décrédibiliser ou inférioriser les femmes, autant au sein du monde politique que dans le monde savant ou médiatique. Réfléchir, écrire ou participer au politique continue donc d’être considéré par plusieurs comme « contre-nature » pour les femmes.
L’élection de Pauline Marois comme première ministre en 2012, loin de montrer un dépassement de cette perception, vient plutôt illustrer le traitement différencié subi par les femmes dans le monde politique. Dans sa course à la chefferie de 2005, Pauline Marois dénonce elle-même le sexisme latent de l’électorat qui doute encore des capacités politiques des femmes et qui repose — pour justifier son sexisme — sur des doubles standards aliénants.
La rapidité d’argumentation, la confiance, l’ambition, l’exigence, la prestance et la passion sont ainsi des raisons d’admirer des hommes qui s’expriment publiquement sur des enjeux politiques, alors que les mêmes qualificatifs chez une femme deviennent une preuve de leur hystérie, surtout lorsqu’il s’agit d’une femme racisée.
Entre la dénonciation fulgurante des médias vis-à-vis la montée de lait imaginée de Yasmine Abdelfadel, et le commentaire de 1928 de Joseph-Éphraïm Bédard qui réduit les femmes à leur maternité, il n’y a donc qu’un pas.
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Source : IMDB
