Par Meg-Anne Lachance

Ce mardi, le Japon a élu la première femme pour diriger son gouvernement. La nationaliste Sanae Takaichi fait son entrée au poste avec des objectifs clairs, développer un « programme économique » et avoir des « discussions franches » avec Donald Trump.
Après avoir remporté la présidence du Parti libéral-démocrate (PLD) en début d’octobre, Sanae Takaichi marque l’histoire en étant la première femme élue comme première ministre au Japon. « Je tiendrai mes promesses. Nous ne pouvons reconstruire qu’en réunissant toutes les générations et avec la participation de tous. […] Je vais travailler, travailler, travailler, travailler et travailler encore », a scandé la nouvelle première ministre, mardi.
Peu de temps après avoir reçu son nouveau rôle, Takaichi a mis les pendules à l’heure quant à ses intentions politiques. Au menu, un « programme économique », une nécessité considérant le contexte actuel. « Sanae Takaichi hérite d’un modèle à bout de souffle », considère le chroniqueur économique de France 24, Christophe Dansette. « La croissance de la troisième économie mondiale est au ralenti et le pays cumule une dette colossale de près de 250 % du PIB. À cela s’ajoute un yen faible, une inflation persistante et, surtout, un vieillissement accéléré de la population – un quart des Japonais ont plus de 65 ans ».
Autre point clé pour Mme Takaichi, les rapprochements avec les États-Unis. « Je souhaite établir des relations de confiance », a-t-elle confié aux journalistes. Donald Trump est attendu à visiter le Japon la semaine prochaine, une parfaite occasion selon la première ministre pour aborder les enjeux de l’Asie-Pacifique, du Moyen-Orient et de l’Ukraine. Mais l’incertitude autour d’un possible investissement japonais de 550 milliards de dollars sur le sol américain et les demandes du président Trump concernant la fin de l’importation d’énergie russe et l’augmentation des dépenses en défense font craindre de possibles tensions.
Pour ce qui est de la Chine, Mme Takaichi qui avait autrefois affirmé que le Japon devait « faire face à la menace sécuritaire » créée par son voisin, a finalement opté pour un discours plus neutre. Le ministère des Affaires étrangères chinois souhaite quant à lui que le Japon fasse « progresser pleinement les relations stratégiques et mutuellement avantageuses » avec la Chine.
Le PLD minoritaire
Au pouvoir presque sans interruption depuis 1955, le PLD, parti de droite conservatrice, fait maintenant face à un important défi : trouver des alliés. Autrefois majoritaire, un scandale financier a fait perdre au parti sa position avantageuse. Depuis 2022, le PLD connaît son lot de scandales. Après avoir été accusé de détenir des liens avec la secte coréenne l’Église de l’Unification, des médias japonais ont révélé une histoire de fraude impliquant plusieurs députés du parti.
En effet, plusieurs factions du PLD n’auraient pas déclaré la totalité des sommes récoltées lors d’évènements bénéfice afin d’échapper aux taxes. Cette pratique apparemment courante au sein du parti conservateur aurait permis d’avoir des fonds excédentaires s’élevant à plusieurs millions de dollars. Ce scandale, l’un des pires des dernières décennies pour le pays, a fait perdre la majorité que détenait le PLD depuis 2009. Problème supplémentaire, le parti centriste Komeito a décidé de mettre fin à leur coalition, pourtant en place depuis 1999.
Élue avec qu’une majorité relative dans les deux chambres, Sanae Takaichi a dû se tourner vers le Parti japonais pour l’innovation (Ishin), afin de se faire élire comme première ministre. Pour le professeur de sciences politiques à l’Université de Tokyo, Yu Uchiyama, la longévité du mandat de Mme Takaichi dépendra de « la stabilité de cette coalition ». « Un autre facteur déterminant sera sa décision de convoquer ou non [des élections législatives]. Si elle le faisait et perdait [des sièges], cela aurait un impact extrêmement négatif sur son image », a expliqué le professeur Uchiyama en entrevue avec l’AFP.
Or, des divergences entre les plateformes des deux partis peuvent déjà être repérées. Alors que Takaichi met l’accent sur une forte expansion budgétaire en augmentant, possiblement, les dépenses publiques, le Parti de l’innovation vise une diminution des impôts et des coûts de la sécurité sociale.
Le parti Ishin soutient également un plafonnement du nombre de main-d’œuvre étrangère, alors que le PLD a présenté, jusqu’à présent, les travailleurs étrangers comme une solution au manque de main d’œuvre. Sanae Takaichi s’est tout de même dite « impatiente de collaborer » « pour renforcer l’économie japonaise et faire du Japon un pays responsable envers les générations futures ».
Une « Dame de fer » 2.0
Connue pour ses positions conservatrices, Sanae Takaichi n’est pas une nouvelle joueuse dans la sphère politique. Élue comme députée pour la première fois dans la circonscription de Nara en 1993, elle fait son entrée au PLD en 1996. Plus de trente ans après son arrivée en politique, Takaichi est finalement élue première ministre. « C’est un symbole extrêmement fort dans un pays où les femmes ont difficilement accès aux postes décisionnels. Mais c’est aussi une victoire pour la droite conservatrice », soutient Alexis Bregere correspondant de France 24.
Dans une société japonaise où la tradition continue de renforcer les stéréotypes genrés, la nomination d’une femme au pouvoir est une surprise. « Mon objectif est de devenir la « Dame de fer » », a répété Sanae Takaichi à plusieurs reprises lors des législatives japonaises de 2024. Quoique différente, on ne peut que faire des parallèles avec la politique de l’ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher, connue pour son caractère inébranlable.
Mais tout comme Thatcher, Sanae Takaichi ne semble pas avoir la cause féministe comme priorité. Malgré sa promesse d’avoir un gouvernement avec un nombre de femmes « à la scandinave », seulement deux de ses consœurs se sont vues offrir un poste ministériel. L’ultraconservatrice Satsuki Katayama prendra le ministère des Finances et Kimi Onoda celui de la Sécurité économique.
À la tête d’un parti déjà conservateur, Mme Takaichi occupe une position dans les plus à droite de son caucus. Elle soutient notamment l’idée d’une succession impériale uniquement masculine et s’oppose à la révision d’une loi contraignant les personnes mariées à partager le même nom de famille.
La nomination de Sanae Takaichi deviendra officielle après avoir rencontré l’empereur Naruhito.
Source : Wikimedia Commons

Meg-Anne Lachance
Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!
