Par Grégoire Bouley

Le 28 septembre, les citoyens moldaves se sont rendus aux urnes pour élire les 101 députés du Parlement. Ce scrutin, loin d’être ordinaire, s’est tenu dans un climat de tension politique et géopolitique extrême.
La Moldavie, petit pays d’Europe orientale coincé entre l’Ukraine et la Roumanie, se retrouve plus que jamais au cœur d’un affrontement stratégique : poursuivre sa trajectoire pro-européenne ou basculer dans l’orbite de Moscou ?
Une élection sous l’ombre de la guerre en Ukraine
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, la Moldavie vit dans l’angoisse d’un possible débordement du conflit. Bien que le pays n’ait pas été directement touché par les combats, la guerre a profondément bouleversé son économie et sa société. L’inflation, la hausse du coût de l’énergie et l’insécurité régionale nourrissent le mécontentement populaire, en particulier contre les élites accusées de corruption.
Nombreux sont les observateurs qui estiment que la Moldavie pourrait constituer une cible future pour Moscou, dans l’hypothèse d’une victoire russe en Ukraine. Cette inquiétude n’a cessé d’être alimentée par les révélations sur les tentatives d’ingérence russe dans la vie politique moldave.
Des accusations graves contre Moscou
À la fin du mois de juillet 2025, la présidente Maia Sandu, première femme élue à la tête du pays et figure du camp pro-européen, a publiquement accusé la Russie de préparer une vaste opération de manipulation électorale. Selon elle, Moscou aurait mobilisé près de 100 millions d’euros pour acheter des votes et financer une campagne de désinformation, notamment via les réseaux sociaux.
Déjà en 2024, lors de l’élection présidentielle, des mécanismes de fraude de grande ampleur avaient été mis au jour. Le principal bénéficiaire présumé était alors Ilan Șor, un oligarque pro-russe en exil, dirigeant du Parti Șor. D’après les autorités moldaves, il serait également à la manœuvre derrière le « bloc patriotique », une coalition de partis socialistes et communistes unis dans leur opposition à l’intégration européenne. Le Kremlin, sans surprise, a catégoriquement nié toute implication.
Une démocratie fragile face à la corruption
La Moldavie est l’un des États européens les plus pauvres et les plus vulnérables face à la corruption. Depuis l’indépendance obtenue en 1991, les scrutins électoraux y sont régulièrement entachés d’irrégularités. Mais selon l’expert Igor Boțan, directeur du centre de réflexion Adept, « jamais le pays n’avait connu un tel niveau d’ingérence étrangère dans une campagne électorale ».
Deux jours avant le vote, un des partis affiliés au bloc patriotique a d’ailleurs été purement et simplement interdit de participation, soupçonné de financement illégal et de blanchiment d’argent. Ce climat a renforcé la perception d’un scrutin décisif pour l’avenir de la démocratie moldave.
Une victoire claire pour le camp pro-européen
Malgré ces menaces, la participation a atteint 52,21 %, soit une hausse de 3,7 % par rapport aux élections législatives précédentes en 2021. Sur un peu plus de trois millions d’électeurs inscrits, 1,6 million ont ainsi exprimé leur choix. Ce sursaut civique témoigne de l’importance que les citoyens accordent à cette consultation, vécue comme un tournant historique.
Au terme du dépouillement, le Parti action et solidarité (PAS), formation de centre-droit pro-européenne fondée par Maia Sandu, a obtenu 50 % des voix et décroché 55 sièges au Parlement. Son chef de file, Igor Grosu, a salué une victoire collective, « ce n’est pas le “PAS” qui a gagné les élections, c’est le peuple ».
Face à lui, le bloc patriotique, rassemblant socialistes et communistes, a recueilli 24,1 % des suffrages et remporté 26 sièges. Son leader, l’ancien président Igor Dodon, a aussitôt dénoncé une fraude massive et déposé plusieurs dizaines de plaintes auprès de la commission électorale. Ces accusations n’ont pas été confirmées, mais elles contribuent à alimenter la défiance d’une partie de l’opinion.
Enfin, en troisième position, le Mouvement alternatif national (MAN), coalition de centre-gauche dirigée par Ion Ceban, maire de Chișinău, a obtenu 7,99 % des voix et 8 sièges. Ceban, critique du PAS, avait toutefois appelé à voter contre le bloc pro-russe, ce qui lui a sans doute permis de capter un électorat modéré.
Un signal fort en direction de l’Europe
La victoire du PAS constitue un succès stratégique pour Maia Sandu et son projet d’intégration européenne. Depuis 2022, la Moldavie a obtenu le statut de candidate à l’adhésion à l’Union européenne, mais le chemin reste semé d’embûches. La consolidation démocratique, la lutte contre la corruption et l’indépendance énergétique figurent parmi les réformes prioritaires exigées par Bruxelles.
Le vice-président du Parlement européen chargé des relations avec la Moldavie, Victor Negrescu, a salué les résultats comme « une leçon de démocratie et de résilience au monde occidental ». Selon lui, l’Union européenne doit rapidement approuver l’ouverture des négociations d’adhésion, dans la perspective d’une intégration d’ici 2028.
Malgré ce succès, l’avenir demeure incertain. Le pays reste profondément divisé entre les partisans de l’Europe et ceux de la Russie. La situation de la région séparatiste pro-russe de Transnistrie, où sont stationnés des soldats russes depuis les années 1990, continue de peser comme une menace permanente.
La situation économique, marquée par la dépendance énergétique et les inégalités sociales, risque également de fragiliser le soutien populaire au PAS. La présidente Maia Sandu et son gouvernement devront donc répondre rapidement aux attentes sociales pour consolider la légitimité du camp pro-européen.
Une Moldavie entre deux mondes
Plus qu’une simple élection nationale, le scrutin moldave de septembre 2025 symbolise le combat qui traverse l’Europe de l’Est depuis trois ans, celui de la souveraineté face aux ingérences russes, et celui du choix de société entre le modèle européen et l’influence autoritaire de Moscou.
En remportant une majorité parlementaire, le PAS dispose désormais d’une occasion unique d’ancrer la Moldavie dans une trajectoire claire vers l’Union européenne. Mais cette victoire sera fragile si elle n’est pas accompagnée d’une amélioration tangible du quotidien des Moldaves.
Pour l’instant, le message envoyé par les urnes est simple, une majorité de citoyens moldaves ne veut pas voir son pays devenir le prochain pion de Moscou dans la région. En ce sens, les élections législatives de 2025 constituent un pas décisif vers l’Europe et une démonstration que, même dans un contexte de menaces et d’ingérences, la démocratie moldave peut encore tenir tête aux pressions extérieures.
Source : Getty Images