Par Gabrielle Goyet
Les hostilités ont repris dans le Haut-Karabakh, le 19 septembre dernier, alors que le très fragile cessez-le-feu qui liait l’Azerbaïdjan et l’Arménie a été rompu. Le ministère de la défense azerbaïdjanais a déclaré la mise sur pied d’« opérations antiterroristes » dans la région séparatiste. En réponse, Nikol Pachinian, le premier ministre arménien, a manifesté contre cette action, qu’il a qualifiée de « nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh ».
Le Haut-Karabakh, ou Artsakh, est une région marquée par les conflits depuis de nombreuses années. Cette région sécessionniste s’est autoproclamée république souveraine, revendiquant son indépendance de l’Azerbaïdjan. En revanche, l’État azerbaïdjanais considère le Haut-Karabakh comme faisant partie intégrante de son territoire. À l’heure actuelle, aucun pays membre de l’Organisation des Nations unies ne reconnait l’État Artsakh.
Durant l’époque soviétique, l’URSS donne au Haut-Karabakh un statut particulier à titre d’oblast autonome, puisqu’il s’agit d’une région peuplée à forte majorité d’Arméniens, enclavée dans les frontières de l’Azerbaïdjan. Le peuple artsakhtsi, nom donné aux habitants du Haut-Karabakh, proclame quelques années plus tard leur indépendance de façon unilatérale au lendemain de la chute du mur de Berlin.
Depuis, des affrontements sporadiques ont lieu dans la région. À deux reprises formelles, l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont été en guerre en raison du statut du Haut-Karabakh. La première, en 1990 alors que le peuple artsakhtsi refuse son inclusion au sein de l’Azerbaïdjan après la chute de l’URSS, et la seconde il y a de cela seulement trois ans. En 2020, l’État azerbaïdjanais a pris possession de territoires arméniens liés au Karabakh.
Un sursaut dans les affrontements
Le mardi 19 septembre dernier, les hostilités ont repris de plus belle. L’offensive militaire menée par l’armée azerbaïdjanaise aurait été motivée par la détonation de deux mines terrestres plus tôt en journée, qui aurait conduit à la mort de six personnes, selon les rapports officiels du pays. En 24 heures, au moins 200 Artsakhtsis auraient perdu la vie, et 400 autres auraient été blessés, selon les dirigeants du Haut-Karabakh. « Des femmes, des personnes âgées et des enfants » font partie des victimes, selon un bilan publié par les autorités séparatistes.
Selon une publication sur la plateforme X de la part de l’armée séparatiste, « les forces armées azerbaïdjanaises recourent à des tirs d’artillerie et de roquettes, à des drones d’attaque, à l’aviation de combat ». Devant ce carnage, les autorités de l’enclave ont annoncé qu’ils allaient rendre les armes pour limiter les dégâts et ainsi se plier aux conditions azerbaïdjanaises pour une éventuelle négociation de cessez-le-feu.
L’Azerbaïdjan a déclaré officiellement que « le seul moyen de parvenir à la paix est le retrait inconditionnel et total des forces armées arméniennes et la dissolution du prétendu régime [séparatiste] ». Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer une purge ethnique, alors que le pays a ajouté, dans un communiqué, qu’il incitait « les forces armées arméniennes illégales [à] hisser le drapeau blanc, rendre toutes les armes et le régime illégal doit se dissoudre. Autrement, les opérations antiterroristes continueront jusqu’au bout ».
Des positions multiples
À l’international, plusieurs voix se sont élevées relativement aux affrontements. Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a appelé « dans les termes les plus forts à l’arrêt immédiat des combats, à la désescalade et au respect plus strict du cessez-le-feu de 2020 et des principes du droit international humanitaire ». La Russie a abondé dans le même sens, en implorant aux « parties prenantes du conflit à cesser immédiatement l’effusion de sang, à mettre un terme aux hostilités et à arrêter les pertes civiles ».
Pour certains experts, l’attaque menée par l’Azerbaïdjan aurait été concrétisée en partie en raison de la guerre en Ukraine. Moscou est, depuis la création de l’URSS, un élément d’influence important dans le Caucase. L’État russe jouait jusqu’alors un rôle d’équilibre des pouvoirs auprès de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, ce qui contribuait à prévenir tout éclatement dans le conflit. Mais depuis février 2022, la Russie connaît un flétrissement dans ses sphères d’influence dans la région.
La France et la Turquie ont cependant opté pour des positions beaucoup plus marquées. Macron a fermement condamné les attaques de la part de l’Azerbaïdjan, tandis qu’Erdogan a offert son support au pays dans sa volonté à restituer son intégrité territoriale. Cette seconde position s’explique par les retentissements du génocide arménien, ou de vives tensions demeurent toujours irrésolues entre l’Arménie et la Turquie.
Une situation critique au préalable
Si les récents affrontements ont contribué à la détérioration de la situation, le contexte humanitaire était déjà néfaste auparavant. Selon la doctorante et chargée de cours en relations internationales à l’université d’Ottawa Bénédicte Santoire, « les 120 000 Arméniens peuplant le Haut-Karabakh sont actuellement à haut risque de famine, voire de nettoyage ethnique ». Luis Moreno Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, déclare qu’il « existe une base raisonnable pour croire qu’un génocide est en train d’être commis contre les Arméniens vivant dans le Haut-Karabakh en 2023 ».
Les armes et les explosions ont forcé l’attention internationale à se tourner vers le Haut-Karabakh depuis le 19 septembre, mais la situation était catastrophique depuis fin 2022. Comme le souligne Bénédicte Santoire : « une nouvelle dimension s’est ajoutée au conflit lorsque l’Azerbaïdjan a fermé en décembre 2022 le corridor de Latchine, seule route qui connecte cette région séparatiste à l’Arménie et, par extension, au reste du monde ». Cette tactique employée par l’Azerbaïdjan vise à forcer la main des Arméniens, en les terrorisant et les bousculant vers une négociation qui leur est très désavantageuse.
« Coupures d’électricité, des pénuries de nourriture, de lait pour nourrissons, de produits d’hygiène, de carburant et de médicaments » ne sont que quelques exemples de la coercition qui est exercée à l’égard de l’enclave. « Quelles que soient les implications géopolitiques en jeu, les pays occidentaux doivent faire plus pour sanctionner l’Azerbaïdjan et protéger les Arméniens du Haut-Karabakh. En tant qu’humanité, nous ne pouvons pas laisser un autre génocide arménien se produire sous nos yeux », conclut Bénédicte Santoire.
Source: Wikimedia
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