Mar. Déc 5th, 2023

Par Ema Holgado 

Non, vous ne rêvez pas, nous ne sommes pas dans un épisode de la saga du célèbre gentleman cambrioleur Arsène Lupin, mais bien au Louvre d’Abu Dhabi qui est, depuis peu, éclaboussé par une enquête sur le trafic d’œuvres d’art qui auraient été pillées au Proche et au Moyen-Orient. Revenons sur cette affaire qui éclabousse le monde de l’art, remet en doutes les possessions des grands musées et nous explique le rôle si important des commissions de lutte contre le trafic des biens culturels.  

En mai dernier, l’ancien directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez et huit autres membres haut placés des organisations de Musées de France ont été mis en examen pour « blanchiment et/ou complicité d’escroquerie en bande organisée ». Les faits qui leur sont reprochés sont simples : avoir fait l’acquisition et avoir revendu des œuvres d’Égypte ancienne qu’ils savaient volées.  

Une histoire digne des plus grands films d’aventure  

Toute cette découverte de faux certificats d’authentification démarre par une photo de Kim Kardashian postée sur ses réseaux sociaux. On la voit aux côtés du sarcophage du grand-prêtre Nedjemankh, récente pièce acquise par le Metropolitain Museum of Art (MET) de New York. Si ses followers n’en relèvent rien, un trafiquant devient fou de rage, car il reconnait l’œuvre qu’il a vendue illégalement et pour laquelle il n’a pas été payé à la revente. En colère, il se plaint à un complice qui n’est autre qu’un informateur infiltré du procureur de Manhattan, Matthew Bogdanos.  

L’histoire est bien plus choquante, car cette œuvre d’art a été proposée au MET par un collectionneur et expert mondialement reconnu sur le marché de l’art, le français Christophe Kunicki. Le sarcophage aurait été volé l’année du soulèvement contre le président égyptien Hosni Moubarak en 2011 alors que son certificat d’authentification indique une sortie du territoire en 1971. La fausse date n’est pas due au hasard, elle prédate délibérément 1973, année de l’interdiction par l’Égypte de l’exportation de ses biens culturels.  

Si le sarcophage a été remis à l’Égypte en 2019, l’affaire ne s’arrête pas là. Le même expert français a vendu de nombreuses œuvres à travers le monde, dont au Musée du Louvre à Abu Dhabi. L’enquête prend alors une tournure antiterroriste, car il est connu pour Daesh de vendre des œuvres d’art de ses territoires occupés afin de se financer. En 2020, le fameux expert français et son mari sont mis en examen et, en 2022, c’est un autre galeriste germano-libanais, Roben Dib qui est mis en examen puis incarcéré en France dans le cadre de l’affaire.  

Il se serait associé à une illustre famille de marchands d’art, les Simonian, discrets et richissimes qui serait extrêmement efficaces pour déplacer et blanchir des œuvres d’art pillées, volées et vendues aux plus grands musées du monde. En vérité, ce n’est pas l’authenticité de ces œuvres qui est remise en cause, elles sont toutes vraies, mais c’est leur sortie du territoire qui en fait des œuvres spoliées. Cette boucle se referme sur Jean-Luc Martinez, l’ancien président du Louvre, car c’est lui qui a permis l’acquisition par le Louvre d’Abu Dhabi d’une stèle de granit rose représentant Toutankhamon faisant des offrandes aux dieux, acquise pour 8,5 millions d’euros. Il semblerait bien que la fameuse malédiction qui s’abat sur ceux qui osent déranger Toutankhamon se soit abattue sur les escrocs.   

Ce qui est réellement reproché à Jean-Luc Martinez et ses acolytes, c’est d’avoir fermé les yeux lors de leurs acquisitions sur les tampons et les certificats qu’ils savaient faux. Les accusés se défendent en faisant allusion du monde très fermé des œuvres d’art. La compétition fait rage entre les différents musées en raison de la rareté des pièces présentes sur le marché dont les prix deviennent de plus en plus exorbitants. L’ancien directeur du Louvre parle de l’urgence et de la pression de doter son musée des pièces les plus prestigieuses au monde, et ce dans un temps qui ne permet pas la vérification de tous les papiers.   

La mise à nu d’un système 

Plus qu’une affaire d’œuvres égyptiennes, cette histoire met en lumière un monde sans pitié prêt à tout pour vendre de l’art, mais aussi un manque de vigilance de la part des conservateurs dans la recherche de la provenance des objets achetés. Il met aussi en lumière un mélange trop flou entre les experts et les marchands qui biaise les expertises.  

Ce qu’il faut savoir, c’est que lorsqu’une œuvre est pillée, elle se retrouve sans histoire. On ne peut alors plus retracer d’où elle vient ni quelle a été son histoire. Dans cette affaire, c’est l’illustre Roben Dib qui a eu comme rôle de créer, soit d’inventer de toute pièce, des histoires à ces œuvres pour qu’elles puissent retrouver une authenticité pour la vente.  

Une affaire encore plus brulante  

La médiatisation de cette affaire fait jouer la réputation de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). Composée d’une trentaine de policiers formés à l’histoire de l’art, cette brigade fait ses preuves depuis 1975 pour retrouver et restituer des œuvres d’art ainsi que de lutter contre l’explosion continuelle du trafic d’œuvres d’art. De plus, cette enquête met le Musée du Louvre d’Abu Dhabi dans une mauvaise posture. C’est en 2007 que la France a prêté aux Émirats la marque du Louvre et son savoir-faire pour ouvrir le musée. Le contrat entre les deux pays est à prolonger de manière récurrente — il l’est pour l’instant jusqu’en 2047 — et pourrait se terminer après une affaire faisant autant de dégâts dans le milieu des musées.  


Source: Musée du Louvre

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