Par Jérémie Bourdages Duclos
Tu as tout le corps engourdi et tu te demandes, bêtement, comme ça, pourquoi il faut vraiment bouger pour se réchauffer. Semblerait que chaque mouvement t’arrache d’un confort fragile.
Ce n’est pas à chaque sortie que le mercure franchit les trente-neuf degrés sous zéro. Mais tu fais bien ce qu’il faut, tu fais fondre la neige pour préparer les précieuses bouillottes, celles qui te tiendront au chaud jusqu’au réveil. Tu organises la cuisine façonnée dans un mur de neige, tu peaufines les tiroirs et le comptoir comme un sculpteur de glace. Tu t’actives, parce que tout fait bien une différence, ici, dans la nuit glaciale du parc de la Gaspésie.
Il faut être un peu fou, on te dit, pour aller creuser un trou en plein bois et y dormir à -40 degrés Celcius. Toi, tu trouves un peu triste l’idée de vivre une vie sans profiter de ces rares moments. Être au cœur du silence avec un spectacle d’étoiles au-dessus de soi. Parce qu’en hiver, le monde semble redevenir un peu plus sauvage. Sentir, au terme d’une longue journée d’ascension, la chaleur irradier des doigts au creux des mitaines épaisses, boire un chocolat chaud crémeux et brûlant, entendre le craquement de ses mouflons sur la neige. Discerner, là-bas, à la lumière de la lune, la poudrerie des sommets battus par le vent.
Le camping d’hiver, ça n’a rien d’inaccessible. Emmitouflé dans une grosse doudoune, pantalons en laine polaire, pantoufles de duvet et mitaines bouffies, tu as tout d’un bonhomme Michelin.
On dit souvent dans le milieu du plein air, en gestion de risques, que le meilleur facteur permettant d’éviter les incidents, c’est l’équipement. S’il faut investir des sous au départ, on ne le regrette jamais. Il est même de plus en plus commun de trouver un manteau de duvet abordable sur Kijiji ou Facebook.
Tu sais que les habitudes changent tout. L’habitude de ranger ton campement avant la nuit, pour éviter de perdre ton sac à dos, tes skis, ta batterie de cuisine sous une averse de neige imprévue…L’habitude d’essuyer le dessous de ta casserole pour éviter que la neige fondue n’éteigne ton brûleur. L’habitude de ne jamais, jamais laisser trainer un morceau de vêtement loin de soi…au risque de le retrouver transformé en glaçon. Glisser plutôt tes mitaines dans ton manteau, pour les garder chaudes, chaque fois où tu auras besoin de tes doigts. Même les feutres des bottes de ski peuvent entrer dans ta doudoune, histoire d’être bien douillets le matin venu.
«Mais dormir? À -40 ?»
On oublie souvent que c’est le corps qui réchauffe l’isolant, et non l’inverse. Une petite course autour du campement active ton métabolisme, produit de la chaleur, fait circuler le sang. Puis, hop, dans le sac de couchage. Boire. Glisser une bouteille Nalgène remplie d’eau bouillante entre ses cuisses, près de l’artère fémorale, a littéralement l’effet d’un spa. Garder, à porter de main, cette bouteille vide prévue pour les petits besoins pressants. Plus besoin de sortir uriner en pleine nuit glaciale et venteuse. La lampe frontale et les piles de rechange dans la même poche que d’habitude, une barre de granola tiède dans une autre, tu t’endors. Avec la sensation agréable du froid qui rôde au-delà de ta chaleur, tu entends la brise qui soulève des embruns de neige.
Après quelques hivers, quelques aventures, tu penseras peut-être ainsi, comme moi. Et tu ne pourras plus t’en passer.