Par Rachel Whalen
Depuis l’hiver 2018, le cours d’économie comportementale est offert à l’École de gestion. Celui-ci est enseigné par le professeur François Delorme. Il s’agit d’un cours qui a été demandé par les étudiants de l’École de gestion. Le Collectif a rencontré monsieur Delorme pour en savoir davantage sur ce modèle d’économie qui gagne en popularité.
C’est seulement depuis le mois de janvier que le cours d’économie comportementale est offert à l’Université de Sherbrooke. Il est ouvert aux étudiants et étudiantes provenant de toutes facultés, mais il était l’objet de la demande d’étudiants de l’École de gestion. « À cause de leur cursus plutôt traditionnel, [ces] étudiants ont demandé à ce que soit intégré ce type de cours à leur parcours scolaire. Ainsi, le département a décidé d’accommoder les étudiants. » Monsieur Delorme, le professeur qui a entièrement mis sur pied ce cours, affirme que le cours se déroule très bien jusqu’à présent. Sur la quarantaine d’étudiants qui ont bénéficié de ce cours, cinq d’entre eux ont décidé de poursuivre à la maitrise.
Une discipline transversale
« Il s’agit d’un cours qui retourne aux sources de l’économie, puisqu’à l’époque on disait que l’économie était un peu comme de la psychologie sociale. Aujourd’hui, l’économie est souvent mathématisée, mais l’économie comportementale revient vers cet élément de transversalité. » L’économie traditionnelle (économie néo-classique) s’appuie sur les tangentes principales de comportement des consommateurs, donc cette méthode fait moins appel à l’intuition et repose plutôt sur l’algèbre. Avec l’économie comportementale, l’apport de la psychologie et des habitudes du consommateur est davantage considéré. Il s’agit d’un chevauchement entre l’économie, la psychologie sociale et même la sociologie. Ainsi, selon monsieur Delorme, l’homme, avec son cerveau reptilien, a une façon de vivre et d’envisager la vie bien à lui qui peut parfois être aberrante. Il est donc juste de l’étudier dans son entièreté, en prenant en compte ses bonnes habitudes autant que ses faux plis.
Déjouer les comportements de l’homme
Cette méthode s’applique à tous problèmes collectifs banaux ou plus complexes comme les problèmes de jeux, d’alcool ou de toutes dépendances. L’exemple le plus fameux en économie comportementale relate les déboires des toilettes pour hommes dans un aéroport aux Pays-Bas qui faisaient sujet d’une insalubrité saillante. Leur malpropreté était provoquée par la paresse et l’inattention des usagers. La façon traditionnelle de remédier à cette situation aurait été de taxer les gens pour offrir le service de nettoyage pour maintenir les lieux propres. Mais en s’appuyant sur la tactique de l’économie comportementale, la direction de l’aéroport a décidé d’opter pour une idée plutôt loufoque. Ils ont installé des petits savons en forme de mouche au fond des urinoirs. Cet ajout devenait, malgré lui, un point à cibler lorsque les usagers utilisaient ces installations. Ainsi c’est en incitant les usagers à utiliser les urinoirs de manière plus hygiénique, sans même qu’ils ne s’en rendent compte, que la situation s’est réglée. Au courant de l’année qui a suivi, les coûts de nettoyage ont baissé de 22 %. Plutôt malin et simple. Elle est là l’originalité de l’économie comportementale. Trouver des solutions aux problèmes collectifs avec des tactiques qui influencent le comportement de l’homme. Donc, pour régler un problème collectif, opter pour un stratagème d’économie comportementale devient une tentative qui sera, au bout du compte, beaucoup moins couteuse au système.
Ou encore, en Suède, on voulait promouvoir l’activité physique. Alors, dans une station de métro, des notes de pianos ont été installées sur les marches de l’escalier. L’escalier est donc devenu un instrument de musique et celui-ci est soudainement devenu plus attrayant, incitant donc les gens à l’emprunter plutôt que d’opter pour l’escalier roulant.
Ces exemples sont plutôt amusants, mais pourtant le gouvernement fédéral emploie également ce genre de techniques lorsqu’il est notamment question d’épargne retraite.
Le cas des REER
« Même s’il y a des incitatifs fiscaux comme les REER pour stimuler les gens à économiser de l’argent pour leur retraite, souvent par paresse les gens ne prennent pas le temps de bien planifier leur retraite et d’élaborer un budget pour leur futur. » Dans ce genre de situation, « l’économie comportementale peut jouer avec le cerveau des gens. Puisque le consommateur a tendance à procrastiner, le gouvernement en Ontario a délibérément choisi d’inscrire les gens à un régime, retraite (selon le secteur d’emploi). » « Les gens doivent donc faire l’effort et les manœuvres nécessaires pour se désinscrire du programme. » Cette technique a été mise sur pied après que l’on ait constaté que les gens ne retournaient pas leur formulaire d’inscription par distraction et manque d’engagement. Cette solution a été trouvée, puisqu’il y a eu ce constat du comportement des gens. « Les gens sont paresseux, procrastinateurs et valorisent le présent et ne valorisent pas le futur », selon monsieur Delorme.
Les limites d’intervention d’une telle approche
« En tant qu’économiste, la chose que nous voulons faire, c’est changer le monde. On veut changer le comportement des gens avec l’économie. » Le professeur a repris l’exemple du prix du paquet de cigarettes pour expliquer son idée. « Le paquet de cigarettes n’est pas encore assez cher, puisque ce sont les autres [les non-fumeurs] après qui vont contribuer au système pour payer les traitements médicaux d’un fumeur. Donc à un moment donné si la taxe sur la cigarette n’est pas assez élevée pour empêcher les gens de fumer ou pour restreindre le nombre de fumeurs, c’est toute la société qui doit faire ça. L’idée, c’est d’utiliser le mouvement d’identité sociale ou des mouvements de groupe pour t’amener à faire des choses que tu n’aurais pas faites tout seul. L’économie comportementale sert à ça. Donc, nous, c’est ça qu’on veut. On veut changer le comportement des gens et dire que ce n’est pas correct pour tout le monde [de fumer]. Ça amène des conséquences collectives. Si le paquet de cigarettes est 5 $, il n’est pas assez cher. Mais s’il est 23 $, là on peut dire que tu payes. » Donc le consommateur contribue monétairement au système établi pour payer les traitements aux gens qui auront fait le choix de fumer.
Souvent « lorsqu’il y a un problème d’externalité négative [comme le tabagisme], ce genre d’approche va fonctionner. Mais lorsqu’il y a des problèmes plus fondamentaux comme éradiquer la faim dans le monde par exemple, probablement que l’économie comportementale à elle seule ne suffira pas. »
L’avènement de l’économie comportementale au Canada ne fait que débuter et, selon monsieur Delorme, le Canada serait en retard comparativement à d’autres pays. Mais celui-ci rappelle que même si l’économie comportementale peut être une solution simple, abordable et créative, celle-ci ne peut pas régler tous les problèmes. L’addition des différents types d’économies serait l’idéal.
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