Ven. Juil 26th, 2024

Par Maxim Chemarin

Alors que la tension monte depuis plusieurs semaines entre les États-Unis et la Chine sur différentes questions, dont celle de Taiwan, la deuxième puissance démographique du monde, l’Inde, demeure silencieuse. Après l’abstention indienne à l’ONU sur le conflit russo-ukrainien, comment expliquer sa position dans un monde aux tendances de plus en plus bipolaires?

C’est une Inde discrète que l’on pouvait observer alors que Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, atterrissait à Taiwan au début du mois d’août. La discrétion relève ici d’une prudence indienne face à un monde changeant qui appelle de plus en plus à prendre position. Pour se prêter au jeu de l’explication de la posture géopolitique et géostratégique indienne actuelle, il faut d’abord remonter dans le temps : durant la Guerre froide pour être plus précis.

Championne du non-alignement

Pendant que les superpuissances américaine et soviétique s’opposaient farouchement au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’Inde devenait le porte-étendard d’un tiers-monde non aligné. Avec notamment l’Égypte de Nasser, Jawaharlal Nehru, alors premier ministre de l’Inde, désire amener au monde une alternative aux alliances naturellement proposée par les deux géants. En reprenant les principes des relations sino-indiennes d’alors, le mouvement des non-alignés permet aux États qui le désirent de se détacher des puissances et des « coûts » associés à l’alignement.

Le mouvement, bien que toujours vivant aujourd’hui avec 120 pays y participant, perd en pertinence après l’implosion de l’Union soviétique. Bien que l’Inde soit toujours reconnue pour cette position, il n’en demeure pas moins qu’elle a fait appel aux États-Unis durant la guerre sino-indienne de 1962. Plus tard, elle entretenait également des liens étroits avec l’URSS qui se concrétisaient en 1971 avec l’Accord de coopération. En bref, l’Inde joue depuis plusieurs décennies la carte de l’alignement ponctuel dans une main à l’allure neutre.

Échiquier global de la puissance 

L’ordre international a, depuis la Guerre froide, bien changé. Certains parlaient d’un ordre unipolaire avec comme hégémon les États-Unis. Pour d’autres, c’est davantage un ordre multipolaire qui vit l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en 2001.

Le dragon chinois poursuivait une croissance fulgurante au courant des vingt dernières années, amenant tranquillement plus d’équilibre sur la balance du pouvoir à l’échelle globale. Son introduction et son développement à l’intérieur des chaînes de valeur lui ont permis de devenir la puissance régionale et mondiale qu’elle est aujourd’hui. Logiquement, la Chine pose maintenant, par ses capacités économique et militaire, de sérieux défis pour ses voisins comme l’Inde.

Sur le plan économique, la Chine représente aujourd’hui le premier partenaire d’échange de nombreux pays. D’ailleurs, depuis 2020, elle est également devenue la première partenaire commerciale de l’Union européenne avec l’équivalent de 586 milliards de dollars (importations et exportations) selon Eurostat. Elle tente aussi de renforcer sa fluidité économique, notamment avec la concrétisation des nouvelles routes de la soie. Il s’agit d’un projet d’infrastructures visant l’Asie, mais aussi l’Afrique et l’Europe. De son côté, l’Inde a boycotté ce mégaprojet puisqu’un corridor prévu reliant la Chine au Pakistan passerait par le Cachemire, une région conflictuelle pour ces États au niveau frontalier.

La Chine est aussi derrière le nouveau et très important Partenariat économique régional global (RCEP) dont l’Inde s’est retirée lors des négociations en 2019. Plusieurs raisons peuvent expliquer son retrait. Parmi celles-ci, la protection de son secteur industriel représente fort probablement l’une des plus cruciales. Les produits chinois supplanteraient la production indienne si cette dernière n’était protégée par son gouvernement via de nombreuses barrières tarifaires. La Chine demeure toutefois importante économiquement pour l’Inde alors qu’elle recevait 7 % des exportations indiennes en 2020. Les importations indiennes en provenance de la Chine s’élevaient à 19 % des importations totales lors de la même année d’après l’Atlas of Economic Complexity.

Au-delà du plan économique, l’Inde voit également en la Chine une potentielle menace, entre autres dans le volet sécuritaire. Des escarmouches comme celles au Ladakh en 2020 entre les soldats des deux États rappellent les différends à saveurs frontalières entretenus depuis plusieurs années. D’un point de vue plus régional, l’Inde participe également au Dialogue quadrilatéral de sécurité (QUAD) avec les États-Unis, le Japon et l’Australie. Il s’agit d’un groupe de coopération militaire créé en 2007 et perçu par plusieurs, dont la Chine, comme étant un vecteur d’obstacle aux ambitions chinoises dans l’Indopacifique.

L’Inde participe donc à des exercices militaires conjoints avec ces États, mais la portée du QUAD ne s’arrête pas là. Les États se sont rencontrés en 2021 pour coordonner une meilleure distribution des vaccins durant la pandémie de COVID-19 dans la région de l’Indopacifique. Plus encore, en mai dernier, les dirigeants annonçaient conjointement un plan d’investissement de 50 milliards de dollars sur 5 ans pour développer des infrastructures encore une fois dans la région. Il pourrait fort bien s’agir ici d’une réplique à la concrétisation des routes de la soie. L’Inde aurait-elle choisi son camp ? Il s’agit d’une autre question à laquelle il est difficile de répondre.

Sur quel pied danser?

Alors que le sillon d’une potentielle bipolarité se trace à nouveau sur le terrain de jeu de la politique internationale, l’Inde reprend ses habitudes. C’est d’ailleurs ce que sa position lors du vote de l’ONU sur les agissements de la Russie en Ukraine peut nous amener à croire. L’Inde possède en la Russie un partenaire intéressant lorsque vient le temps de contenir la puissance chinoise. Il s’agit aussi de relations qui datent depuis cinquante ans. Si l’on s’était demandé il y a un an quel camp l’Inde allait choisir, la réponse aurait probablement été plus facile à élaborer. Le conflit en Ukraine embrouille plusieurs boules de cristal.

La scène politique internationale est remplie de questions et de considérations à l’heure actuelle. Il ne s’agit ici que d’un rapide tour d’horizon qui mériterait plusieurs autres lignes, mais il n’en demeure pas loin que l’éléphant aura des décisions à prendre dans les mois et années à venir. Des décisions qui seraient fort bien à même de bouleverser l’ordre international que l’on connaît.


Crédit image @PMO-CPM

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