Ven. Juil 26th, 2024

Par Josiane Demers 

La semaine nationale du don d’organes et de tissus se tiendra du 24 au 30 avril 2022. Pour l’occasion, Transplant Québec offrira une visioconférence le 27 avril prochain afin de démystifier ce processus qui peut s’avérer une rude épreuve pour les familles concernées. Le docteur Frédérick D’Aragon, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke et anesthésiologiste et intensiviste au CIUSSS de l’Estrie-CHUS, interviendra lors de cette présentation. Il a accepté de discuter de cet enjeu substantiel et fondamental avec le journal Le Collectif 

Ce professionnel de la santé complète d’abord sa technique et son baccalauréat en soins infirmiers. C’est après quelques années de pratique qu’il s’inscrit en médecine à l’UdeS en se spécialisant en anesthésie. Il évolue ensuite à Hamilton où il se surspécialise en soins intensifs. À son retour au Québec, après un an de spécialisation en dons d’organes à Barcelone, en Espagne, il se lance en recherche dans ce domaine en mettant l’accent sur l’importance de l’approche avec les familles des donneurs.  

Sherbrooke, plateforme d’innovation 

L’expertise sherbrookoise en matière de dons d’organes est déterminante. « Au Québec, on se positionne avantageusement en termes de performance, surtout au niveau des donneurs consentis et du nombre d’organes prélevés par donneurs. On est une plateforme d’innovation », souligne de docteur D’Aragon. Il souligne que c’est ici que la recherche en dons au Canada est gérée. Le CIUSS de l’Estrie CHUS est l’un des 8 centres désignés au Québec.  

Sherbrooke est également reconnu pour la création de l’Association canadienne du don d’organe et de tissus (ACDO). Cet organisme initié par Richard Tremblay, un policier sherbrookois à la retraite, assure le transport d’organes en urgence à travers le pays depuis 1987. Au Québec, c’est plus de 2000 policiers bénévoles qui s’assurent que les organes se rendent à bon port rapidement chaque année. Ils assurent un rôle crucial dans ce processus. D’ailleurs, le monument des donneurs d’organes est érigé à Sherbrooke.  

Une pandémie qui fait mal 

Évidemment, lorsqu’un patient est candidat au don d’organes, la famille doit consentir. La pandémie amène son lot d’obstacles. « La pandémie amène des embûches d’abord pour l’annonce de la mort cérébrale d’une personne et ensuite pour discuter des options. En faisant cela par rencontre virtuelle, ça chamboule nos mœurs et nos approches », soutient le docteur D’Aragon qui souligne l’importance du contact humain dans ce genre de situation.  

La disparité entre le nombre de gens en attente d’une transplantation et le nombre de donneurs a toujours représenté un défi important. Toutefois, la situation sanitaire a exacerbé cette problématique. « La disparité a augmenté de 10 %. On a perdu 5 ans de progrès. On retourne à des chiffres de 2016. L’écart s’est creusé à deux niveaux. Le nombre de patients augmente, donc au 1er janvier, on est à 888 patients en attente de transplantation et le nombre de donneurs en 2021 est de 144, ce qui représente une baisse », souligne le professeur en médecine. Effectivement, il y a moins de donneurs, mais la fermeture des salles d’opération et l’annulation d’interventions dites « électives », tel le transplant d’un rein, a participé à ce recul. 

Le consentement présumé, une fausse bonne idée? 

Le consentement présumé est une loi qu’ont adoptée certains endroits et qui dicte que les gens sont consentants au don d’organes à moins de signer un refus au préalable. Une législation a d’ailleurs été ratifiée en Nouvelle-Écosse, premier territoire en Amérique du Nord à embrasser cette pratique. Cependant, le docteur d’Aragon ne pense pas que cela constitue une solution viable au Québec pour réduire la disparité entre « la demande et l’offre » d’organes.  

Cela peut engendrer certains enjeux éthiques comme en Espagne, endroit où une telle loi existe, mais où 25 % à 30 % des gens ont signé un refus. « Dans la vie de tous les jours, lorsqu’un patient a une catastrophe neurologique, les lignes de conduite nous disent de ne pas donner de stéroïdes, car ça peut être délétère pour sa tête. En revanche, dans une perspective de don d’organe, on va en donner, car ça aide à la préservation des organes. Donc en Espagne, on va donner des stéroïdes avant même que le patient soit consenti au don d’organes », explique l’intensiviste.  

Aussi, il faut considérer qu’une telle mesure engendre des coûts significatifs. Ce budget pourrait plutôt servir à de la formation supplémentaire ou encore à des campagnes de sensibilisation.  

Finalement, les études scientifiques ne démontrent pas que le consentement présumé augmente le nombre de donneurs. Au Chili, c’est plutôt l’effet contraire qui s’est produit. Il y a eu un désengagement de la population.  

S’attaquer à la disparité 

Selon Frédérick D’Aragon, plusieurs solutions sont envisageables pour allonger la liste de donneurs. Premièrement, il suggère l’implantation d’un système d’identification et de repérage de donneurs potentiels en temps réel pour éviter de « manquer des donneurs ». « Ça prend quelque chose qui apparaît en relief dans le dossier informatique qui dit : avez-vous parlé du don pour ce patient dans cette condition? Juste avec ça, on pourrait aller en chercher 20 % de plus », exprime-t-il. Dans cette optique, il faudrait également former le personnel médical pour qu’il soit en mesure de repérer les donneurs avant de retirer le tube endotrachéal.  

Ensuite, dans les campagnes sensibilisation, il faudrait aller au-delà de dire aux gens de signer leur carte, parce que ça ne fonctionne pas. « Dans les sondages 90 % de la population est en faveur du don d’organe, 50 % vont s’être inscrits au registre et ensuite de ça, lorsqu’on est rendu a signé le consentement, on a encore un 30 % de refus ».  

Il faut changer l’image que les gens ont du donneur typique, soit une personne jeune qui a un accident de la route fatal. « Le donneur de 2022 c’est un individu entre 50 et 60 ans qui a fait un infarctus et qui a manqué d’oxygène au cerveau. Les gens pensent souvent qu’ils sont trop vieux pour donner, mais en 2021, 30 % des donneurs avaient en haut de 60 ans », explique le docteur d’Aragon.  

Finalement, il ne faut pas négliger l’apport des médias de masse. « En Espagne, ils ont créé une ligne sans frais pour les médias. Ils peuvent appeler la ligne de dons d’organes parce que la recherche a prouvé que de faire une campagne médiatique, c’est associé à une augmentation de 10 % du don », conclut l’anesthésiste.  

Crédit image @ page Facebook, Don d’organes et de tissus Québec

Crédit image @ UdeS

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