Mar. Juil 23rd, 2024

Par Josiane Demers 

Les 14 et 15 mars derniers avait lieu la Conférence annuelle du Groupe d’études et de recherche sur l’international et le Québec (GÉRIQ) à l’Université de Sherbrooke intitulée Un an après la fermeture du chemin Roxham : bilan, perspective et avenir. Ce colloque était organisé par la Faculté de droit en partenariat avec l’Institute on Québec Studies de l’Université de l’État de New York à Plattsburgh. Un an après la fermeture de ce chemin situé à la frontière canado-américaine, quelles leçons faut-il en tirer? 

Le 25 mars 2023, ce chemin indicatif de point de contrôle non officiel où des migrants se présentaient et étaient accueillis par des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) fermait. Il a été fermé à la suite de la signature du Protocole additionnel de l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) conclue entre les États-Unis et le Canada en 2023. Si le gouvernement du Québec réclamait vivement la fermeture du chemin Roxham en mars 2022, il constate aujourd’hui, tout comme les experts, que cette mesure est un échec.  

De la fluidité à la sécurisation 

L’expression « crise migratoire » se retrouve dans les manchettes régulièrement. Pourtant, la migration est une réalité qui touche toutes les sociétés, que ce soit de la migration interne ou internationale. Par exemple, une personne qui déménage du Québec en Colombie-Britannique est considérée comme une migrante interne. Malgré le discours actuel qui parfois polarise l’opinion publique, le taux de migration est demeuré relativement stable à travers les époques et représente environ 3,6 % de la population mondiale. En dépit de cette stabilité, la tradition de fluidité des frontières a été remplacée par un contrôle des flux migratoires permettant ainsi aux États d’affirmer leur souveraineté et de choisir qui et combien de personnes peuvent entrer au pays.  

Plusieurs évènements ont accéléré la tendance à la sécurisation des frontières, notamment la crise économique des années 1980 et les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Aussi, la COVID-19 a démontré qu’il était possible de fermer des frontières. Le Canada s’inscrit dans cette tendance. Auparavant, aucun élément à la frontière canado-américaine n’évoquait la violence ou encore la répression comme des barbelés qui sont installés aujourd’hui. De plus, la sémantique à l’égard de la migration a permis des raccourcis heuristiques associant la migration à la criminalité. Cependant, traverser une frontière autre que par les points de contrôle officiels sans papiers ne constitue pas un crime, mais bien une infraction administrative.   

Le Canada et ses contradictions 

En fermant le chemin Roxham, le Canada, s’autoproclamant « terre d’accueil », s’inscrit en opposition avec les engagements contenus dans les pactes mondiaux qu’il a signés. L’État est signataire de deux pactes liés à la migration, soit le Pacte mondial pour les réfugiés et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Ce dernier a été signé par 152 États membres des Nations unies et vise à faciliter la migration. Ce pacte s’éloigne de la répression et encourage, entre autres, les pays à faciliter le passage, à établir des plans en vue des crises en amont, à ne pas recourir à la détention, à offrir des services de base sans discrimination, et à accélérer la régularisation du statut.  

De surcroît, le Canada a signé l’ETPS, l’entente bilatérale avec les États-Unis en 2002 et renégociée en 2022, qui a pour objectif d’établir des mesures de contrôle efficaces, d’améliorer le traitement des données et de renforcer la frontière. Identifier les États-Unis comme « pays sûr », alors que des rapports soulignant la violation de droits de la personne à plusieurs niveaux ne sont pas cohérents avec les valeurs canadiennes. L’entente est également discriminatoire, car elle reflète la volonté canadienne de réduire l’afflux de Sud-Américains ce qui fait écho d’une politique sélective. Le Canada semble accueillant, mais à la condition qu’il puisse choisir les personnes migrantes acceptées.  

Finalement, le Canada dit avoir voulu renforcer l’ETPS et fermer le chemin Roxham afin de contrer la criminalité aux frontières. Toutefois, cela n’a fait qu’exacerber le problème. En l’absence d’un passage sécuritaire, les migrants sont beaucoup plus vulnérables et cherchent d’autres moyens, souvent plus dangereux, de venir au Canada. Les passeurs et le crime organisé exploitent cette vulnérabilité et augmentent leurs profits. Les criminels ne sont pas les migrants, mais bien ceux qui profitent d’eux pour s’enrichir.   

Quelles solutions? 

Les experts présents au colloque ont émis plusieurs recommandations et pistes de solution. Tout d’abord, il faut ouvrir le dialogue en matière d’immigration, entre tous les paliers de gouvernement incluant les municipalités, mais aussi avec les organismes d’accueil et les spécialistes.  

La migration est un enjeu global et universel. À ce titre, l’adaptation semble être la clé. Des instances intergouvernementales et multilatérales permanentes pourraient en faciliter le traitement. Aucun État ne peut traiter cette question adéquatement seul et une approche commune devrait être favorisée.  

Il serait également bénéfique d’inciter les médias à s’éloigner un peu de la joute politique et à participer à l’éducation de la population sur la question, alors que plusieurs mythes persistent. Cela pourrait participer à la déconstruction de la sémantique négative à l’égard des personnes migrantes.  

Finalement, le Canada pourrait établir un plan stratégique en amont, contrairement à l’adoption de solutions réactives lorsque le problème se pose. Cela faciliterait notamment la question de la facilitation de l’émission des visas et la réduction des délais pour la régularisation du statut accordé.  

*Toutes les informations dans ce texte sont tirées des conférences de Kristine Plouffe Malette, Élizabeth Vallet, François Crépeau et Mireille Paquette présentées au colloque du GÉRIQ. 


Source: Site web UdeS GÉRIQ

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