Dim. Juil 21st, 2024

Une analyse par Maxim Chemarin, candidat à la maitrise en études politiques appliquées, se spécialisant sur les relations indo-canadiennes 

Au mois de juin dernier, Hardeep Singh Nijjar, un leader communautaire sikh, a été assassiné devant le temple dont il était président dans la ville de Surrey en Colombie-Britannique. Bien que timidement couvert par les médias au moment de son occurrence, ce meurtre était une métaphorique bombe à retardement en ce qui a trait aux relations indo-canadiennes.  

À l’aide de l’enquête alors ouverte et de renseignements d’alliés, Trudeau a pris les devants et a dénoncé le 18 septembre dernier l’implication du gouvernement indien dans l’affaire. En matière de relations internationales, cela représente un positionnement majeur. Mais comment le Canada et l’Inde, en voie de conclure une entente commerciale, en sont-ils arrivés là ? Le cas présent est une opportunité inestimable d’observer la volonté des peuples d’interagir avec l’ambition commerciale des États. 

À la croisée des chemins (économiques) 

Au courant des dernières décennies, l’importance accrue de la connectivité commerciale s’est insérée dans la réalité des États de notre ère et l’Inde, plus grande démographie du monde, n’y échappe pas. Après avoir renoncé aux grands projets économiques régionaux portés par la Chine comme les Nouvelles routes de la soie et le Partenariat régional économique global (PREG), New Delhi se tourne vers de nouveaux partenariats bilatéraux comme l’Australie, le Royaume-Uni et le Canada pour répondre à ses besoins. 

Du côté canadien, cette relance indienne représente l’occasion rêvée d’amorcer la diversification de ses partenaires économiques. À la suite de l’épisode prolongé de tension avec la Chine, le gouvernement Trudeau choisit. C’est d’ailleurs ce qu’indique la Stratégie canadienne pour l’Indo-Pacifique (SCIP) émise en novembre 2022. Après une mention de la Chine comme étant « de plus en plus perturbatrice », la SCIP identifie l’Inde comme étant « un partenaire essentiel du Canada » dans la région. 

Qui plus est, l’intensification des échanges économiques entre Ottawa et New Delhi dans les dernières années démontre comment l’offre de l’un correspond aux besoins de l’autre. En effet, selon l’Observatory of Economic Complexity et Trade Economics, la valeur totale des échanges du Canada avec l’Inde est passée d’environ quatre milliards (USD) en 2012 à plus de dix milliards (USD) en 2022. Sur le plan sectoriel, les exportations canadiennes s’alignent sur les besoins croissants au niveau énergétique et agroalimentaire de l’Inde. Concrètement, en 2021, les briquettes de charbon représentaient 23,6 % des exportations canadiennes vers l’Inde alors que les légumes séchés en représentaient 11 %.  

Bref, pour le Canada comme pour l’Inde, le contexte géopolitique aux tendances bipolaires amène son lot d’opportunités et les dirigeants respectifs tentent de transformer ce phénomène de trajectoires convergentes en une entente commerciale concrète.   

C’est ce dont on entendait parler durant ces derniers mois si l’on tendait l’oreille à l’actualité indo-canadienne. Au début du mois de mai, la visite à Ottawa du ministre indien du Commerce et de l’Industrie, Piyush Goyal, était prometteuse. À ses dires et ceux de son homologue canadienne, Mary Ng, il était fort réaliste d’espérer une première entente commerciale (Early Progress Trade Agreement) dans les mois à venir. Une nouvelle mission économique canadienne en Inde au mois d’octobre suivant était également annoncée. En somme, le rapprochement allait bon train. Mais comment cette relation s’est-elle envenimée aussi rapidement ? 

La diaspora indienne au Canada 

Pour y voir un peu plus clair, il faut cette fois explorer les arborescences de la diaspora indienne au Canada. Étant l’une des plus importantes au monde, elle se dénombrait en 2016 à près de 1,4 million d’individus selon Statistique Canada. Sur le plan religieux, les pratiquants sikhs au pays étaient environ 770 000 en 2021 représentant ainsi la plus grande communauté sikhe en dehors des frontières territoriales indiennes. À titre informatif, selon le recensement indien de 2011, la proportion de la communauté sikhe en Inde est de moins de 2 % parmi une population majoritairement hindoue, à environ 80 %. 

Maintenant, d’où vient cette méfiance du gouvernement indien pour la communauté sikhe ? Le défunt Hardeep Singh Nijjar était sikh, mais il était également un ardent défenseur du Khalistan, un projet de territoire indépendant sikh au Pendjab dans la région Nord-Ouest de l’Inde. Il faut cependant dire que le sikhisme et le projet d’un Khalistan indépendant ne vont pas forcément de pair. Néanmoins, l’indépendantisme sikh mène la vie dure à la bilatéralité indo-canadienne depuis plusieurs années.  

En 1984, la première ministre indienne, Indira Gandhi, avait été assassinée par ses gardes du corps sikhs en guise de représailles à la suite du bain de sang de l’opération Blue Star, qu’elle avait ordonné pour refroidir le mouvement séparatiste. De plus, en 1985, c’était 329 personnes qui ont perdu la vie dans l’attentat d’un vol d’Air India faisant alors de la tragédie « le pire attentat terroriste aérien de l’histoire jusqu’aux événements du 11 septembre 2001 » selon Perspective monde. L’avion avait décollé au Canada. Il s’agissait d’un attentat extrémiste sikh et l’Inde avait alors reproché au Canada la discutable gestion de l’enquête. 

Revenons maintenant au présent. Dans la foulée de l’accusation canadienne, on comprend davantage pourquoi l’Inde garde un œil sur l’indépendantisme sikh qui a lieu au Canada. Par exemple, il y a eu une petite parade au début du mois de juin sur le sol canadien où l’on célébrait à l’aide de mannequins l’assassinat de l’ancienne première ministre indienne.  

Des événements comme ceux-ci meublent évidemment les reproches indiens faits à l’égard du Canada et l’on saisit l’importance du dossier pour le gouvernement indien en notant sa réaction. Alors que l’on discutait il y a peu de temps d’un rapprochement indo-canadien, on parle maintenant d’expulsions réciproques de diplomates, de négociations commerciales sur pause et de gel des services de visas indiens au Canada. En outre, la crise actuelle souffle le froid sur la relation bilatérale. 

Et maintenant? 

La progression indienne sur l’échelle globale de la puissance est inéluctable. Tant sur le plan économique que géopolitique et même sécuritaire, le Canada comptait sur l’Inde pour la réalisation de ses ambitions en Indo-Pacifique. Est-ce toujours le cas ? Assistons-nous à un rendez-vous manqué ou au report de l’inévitable ? Si l’on se fie aux événements semblables des dernières années, en ce qui a trait aux relations entre Ottawa et New Delhi, c’est sur le temps qu’il faut compter. 


Source: Wikimedia

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