Mar. Juil 23rd, 2024

Par Elizabeth Gagné 

Cette semaine, je me suis prise d’appétit pour vous parler d’une femme qui a marqué le Québec durant les années 50 à 80. Raffinée et élégante, elle était connue de toutes les ménagères et les femmes de l’époque. On la retrouvait dans toutes les cuisines québécoises durant ces années. Son nom, Jehane Benoit, vous dit peut-être quelque chose. Pour vous mettre en perspective, elle était la Ricardo de ces années-là.  

Les études de Jehane Benoit 

Née en 1904 à Montréal d’une bonne famille, elle a grandi dans le quartier de Westmount. Elle fait partie de ceux qui reçoivent l’éducation classique de la bonne ménagère, dont les livres et les cours de cuisine ont sûrement dû l’influencer d’une quelconque manière dans sa carrière. Une carrière qui n’est pas celle souhaitée, au départ. Elle rêvait d’être actrice, mais pour l’époque il ne s’agissait pas d’un métier convenable pour une jeune fille d’une bonne famille. Sa mère lui en a donc dissuadé et elle a décidé de poursuivre ses études à l’étranger. C’est donc vers la France qu’elle s’est envolée pour suivre le programme de chimie alimentaire à la Sorbonne à Paris. Elle travaille également durant ses études aux côtés du célèbre Édouard de Pomiane, qui a écrit un important livre de cuisine à l’époque s’intitulant Bien manger pour bien vivre. Il l’encourage à s’intéresser au patrimoine alimentaire et au produit du terroir.  

De retour au pays! 

De retour à Montréal, elle ouvre la première école de cuisine laïque en 1933 sous le nom Le fumet de la Vieille France. Pour l’époque où l’école était encore sous la responsabilité de l’Église, il s’agit d’une situation plutôt unique. Son école connaît un franc succès qui lui a ensuite permis d’ouvrir son propre restaurant. Avant-gardiste, elle développe un concept tout à fait unique pour l’époque, un bar à salade. Premier restaurant végétarien en Amérique du Nord!  

Elle a fait son apparition dans les médias plus formellement après avoir été recrutée par l’émission Fémina en 1954, selon les Archives de Radio-Canada. L’objectif de ces chroniques vise à préparer des petits plats simples et savoureux tout en rendant la tâche attrayante pour la ménagère. Jehane Benoit veut transmettre l’art de la cuisine et le plaisir de cuisiner. Le public découvre une dame élégante, raffinée, chaleureuse avec de l’esprit et qui est capable de vulgariser simplement des termes de la grande cuisine.  

En 1959, Radio-Canada publie un recueil des recettes de la Fémina. Ce carnet se vend comme de petits pains chauds. Son influence chez les Canadiens français et les Canadiens anglais grandit à vue d’œil. Elle est invitée à la télévision sur les chaînes « Femme d’aujourd’hui » à Radio-Canada et « Take 30 » à la CBC, pour animer des segments culinaires. Sa popularité est telle qu’elle anime une classe de cuisine d’un jour devant 10 000 personnes au forum de Montréal. Sa popularité est incontestable ; Jehane Benoit devient la grande dame de la cuisine québécoise.  

Un « best-seller »  

Grande vulgarisatrice, elle est devenue une icône de la cuisine canadienne. Elle écrivait de plus en plus dans les revues. S’intéressant depuis toujours au terroir québécois et canadien, elle a entrevu la possibilité d’entreprendre un projet d’envergure qui lui a valu sa renommée. Elle a sollicité la participation en ondes de ses auditrices afin de pouvoir récolter des recettes secrètes transmises de génération en génération à travers les familles canadiennes. Avec ces connaissances et son expertise, Jehane Benoit a compilé ces recettes pour créer l’un de ces ouvrages les plus célèbres de sa carrière L’encyclopédie de la cuisine canadienne.  

Publié en 1963, c’est une véritable bible culinaire de plus de mille pages qui fait honneur à notre patrimoine culinaire. Son livre devient une véritable référence pour la ménagère et les générations de cordons bleus qui suivront. On y retrouve absolument de tout. Elle passe en revue les termes techniques du monde culinaire, elle met des tableaux de gradation pour convertir facilement les proportions en grammes ou en litres. On y retrouve même des tableaux montrant les vitamines retrouvées dans certains aliments, les minéraux, les calories par portion. Elle a d’ailleurs mentionné, en entrevue à la radio à l’émission Metro-magazine, que l’encyclopédie est le travail d’une vie. Elle explique que son ouvrage est « destiné à la jeune femme qui ne sait absolument rien faire, d’un point vu cuisine, mais qui doit absolument apprendre, parce que c’est nécessaire. Et aussi à la gourmande, la raffinée qui est bonne cuisinière et qui aime faire sauter ses crêpes et flamber ses canards ». 

La passion de bien manger 

Jehane Benoit était une femme de son temps, certes, mais qui a tant fait pour notre patrimoine culinaire. Son intellect et son érudition transparaissaient dans son éloquence à la radio et à la télé. Elle défendait avec ardeur notre patrimoine culinaire et mettait de l’avant ces plats typiquement québécois dans tout ce qu’elle entreprenait. Elle invitait même les restaurateurs, lors d’une entrevue pour Métro-magazine en 1963, en prévision de l’Expo 67, à mettre de l’avant ces mets québécois et insistait sur le fait qu’ils devraient les exposer comme tels dans leur menu avec leur nom d’origine.  

À titre d’exemple, elle proposait les grands-pères du lacs Saint-Jean qui sont faits dans une sauce aux bleuets. Elle a produit plusieurs ouvrages colossaux après ce dernier dont le plus surprenant étant la réédition de ses recettes adaptées à la nouvelle technologie de l’époque : le four à micro-ondes. Dans une entrevue donnée à Radio-Canada en 1985, elle explique cet engouement en disant que « c’était la première fois que j’avais un four qui appliquait toutes les données de la chimie alimentaire ». Un véritable retour aux sources, comme le dit si bien l’animateur Normand Harvey, pour cette dame qui a étudié quatre années dans ce domaine. Sa passion pour notre patrimoine culinaire a permis de le garder en vie. Nous devons une fière chandelle à madame Benoit.  


Source: IMDB

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Cheffe de pupitre CULTURE

Étudiante à la maîtrise en histoire, Elizabeth a toujours été passionnée par les arts et la culture. Travaillant de pair avec ses collègues depuis 2022 à promouvoir le programme des Passeurs culturels à la faculté d’éducation, elle travaille également depuis un an au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke. Intriguée par tout ce qui nous rend profondément humains, elle souhaite élargir et approfondir le sens de la culture en proposant des articles parfois hors normes.