Par Josiane Demers
Beaucoup de petits Québécois et de petites Québécoises rêvent d’aller explorer l’espace. Soyons honnêtes, beaucoup d’entre nous y ont rêvé à cause du Capitaine Charles Patenaude et de l’équipage du Romano Fafard de l’émission Dans une galaxie près de chez vous. Trêve de plaisanteries, cette ambition d’enfant ne se concrétise que très rarement. Pour Farah Alibay, ce rêve est maintenant réalité.
La jeune femme de 32 ans née à Montréal qui a grandi à Joliette est maintenant ingénieure aérospatiale pour le Jet Propulsion Laboratory en Californie, endroit affilié à la NASA. Alors âgée de 13 ans, sa famille déménage en Angleterre, ce qui lui permet de devenir parfaitement bilingue. À l’époque, elle est déjà passionnée par l’espace et par l’exploration, mais elle ne sait pas que cela peut devenir un vrai travail. Elle fait d’abord son baccalauréat et sa maîtrise à l’Université de Cambridge en ingénierie et technologie spatiale. C’est au Massachussetts Institute of Technology (MIT), en 2014, qu’elle complète son doctorat au cours duquel elle effectue des stages chez Jet Propulsion, qui deviendra son employeur.
Pourquoi Mars?
Depuis déjà plusieurs années, Farah travaille sur la mission sur Mars du robot Persévérance. Il y a bien sûr lieu de se demander : pourquoi cette planète? « Il y a 3 ou 3,5 milliards d’années, on sait que Mars ressemblait à la Terre et c’est grâce aux autres missions qu’on a envoyées là auparavant qu’on a découvert ça. On sait qu’il y avait une atmosphère, de l’eau liquide, une magnétosphère… », décrit l’ingénieure.
Elle explique qu’il y a 3 milliards d’années, sur la Terre, c’était le début de la vie. Les scientifiques pensent donc que si Mars ressemble à la Terre, il y aurait possiblement eu de la vie à une certaine époque. Le but de la mission est de chercher des traces d’ancienne vie.
« Persévérance a atterri dans un cratère qui est un ancien lac. Ce lac était alimenté par une rivière. On se dit que s’il y avait eu de la vie sur Mars, atterrir dans un lac situé au delta de la rivière, ça serait une bonne idée. Ça serait sûrement là qu’il y en aurait. Il y a de belles roches sédimentaires. Et si on regarde ce genre de roches sur Terre, il y a énormément de vie dedans. C’est pour ça qu’on est allé là. » – Farah Alibay
Persévérance va donc aller prélever une vingtaine d’échantillons sur une période de trois ans, qui seront ensuite ramenés sur Terre pour être analysés. C’est une autre mission qui ira les chercher. « On va lancer une fusée qui va atterrir sur la surface de Mars. On va mettre les échantillons dans la fusée et la ramener vers la Terre. C’est toute une aventure. C’est pour ça que ça va prendre une dizaine d’années, car il faut inventer la technologie pour les ramener. Il faut s’attendre à avoir les échantillons d’ici la fin des années 2020 ou le début des années 2030 », précise la scientifique.
Sa contribution
Évidemment, une mission d’une telle envergure se réalise en équipe. Chaque personne occupe un ou des rôles bien précis afin que le tout se déroule sans anicroches. Farah exécute plusieurs tâches.
« Avant la mission, je faisais partie de l’équipe qui fait les tests de conduite. J’avais la charge de m’assurer que Persévérance ne se perdre pas sur Mars, car il n’y a pas de Google Maps ou de GPS. On utilise des instruments à bord et le soleil pour se diriger. Ma job, c’était de faire des tests pour s’assurer que le robot puisse s’orienter une fois là-bas. » — Farah Alibay
Lorsque la mission commence, elle est d’abord responsable de l’hélicoptère Ingenuity qui est atterri sur Mars et qui se trouvait sous le robot. Depuis ce temps, elle est dans l’équipe d’opération et fait des analyses. « Mon plus gros rôle, c’est que je fais partie de l’équipe qui prépare les plans pour la journée. Quand on fait des opérations d’un robot sur Mars, on ne conduit pas ça avec un joystick à la maison. On programme le tout à l’avance. Le robot fait alors ses activités et nous renvoie les données », soutient l’ingénieure. Chaque membre de l’équipe est responsable d’un petit programme, par exemple le bras du robot. Farah s’occupe de combiner tous les petits programmes pour en faire un gros et l’envoyer sur Mars.
Être une femme en sciences
Selon la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec de l’UdeS, en 2018, le pourcentage de femmes dans ce domaine s’élevait à environ 21 % au baccalauréat, une amélioration de 5 % par rapport à 2007, mais cela reste tout de même très peu. Aux États-Unis, le portrait est similaire, on parle d’environ 25 %. Comme l’explique Farah : « C’est loin d’être 50/50, surtout pour une femme racisée comme moi. Donc, ça m’a pris un peu de temps à trouver ma place. Toute ma vie j’ai vécu le racisme et le sexisme. Au début de ma carrière, j’ai trouvé ça difficile. Cependant, je trouve que ça a beaucoup changé dans mon domaine, surtout depuis le mouvement #metoo. Au moins, maintenant, on en parle ».
« Quand j’étais jeune, j’étais bonne à l’école, mais quand tu es une petite fille bonne à l’école, on ne te dit jamais que tu devrais aller en sciences. On te dit que tu serais une bonne professeure ou une bonne médecin. Ce sont de beaux métiers, mais on a tendance à suggérer aux femmes des professions en lien avec le public où on est proche des gens. On nous voit moins dans des rôles techniques, mais pourquoi pas? » – Farah Alibay
Farah souligne tout de même avoir trouvé sa place. « J’ai réussi à trouver ma place à la table. Des gens m’ont aidé, souvent des hommes, qui m’ont tracé la voie et maintenant, j’essaie d’aider les autres. Je pense qu’il y a un changement systématique dans notre société qui doit arriver », constate-t-elle. Elle dit avoir tourné cette difficulté en quelque chose de positif, alors que les gens la reconnaissent et sont, à présent, conscients de sa compétence et de son expertise.
Crédit photo @ Rachael Porter