Par Estelle Lamothe
Il y a quelques semaines, un article de World university News relatait l’apparente tentative d’assassinat menée à l’endroit de l’un des principaux dirigeants universitaires d’Afrique du Sud, Professeur Sakhela Buhlungu. Cet évènement met en lumière la menace de corruption qui semble étendre son emprise sur le secteur de l’enseignement supérieur. Néanmoins, le concept de corruption fait-il consensus ? Dans quelle mesure l’enseignement supérieur est-il fertile audit phénomène ? In fine, quels enjeux la corruption revêt-elle dans nos sociétés « contemporaines » ?
De l’usage du terme « corruption »
Le danger provient en premier lieu du flou sémantique entourant le concept multidimensionnel de « corruption », ouvrant la voie à un terrain fertile d’usages controversés. Initialement, tel que les penseurs politiques anciens et modernes — de Platon à Montesquieu — l’ont entendue, la corruption désigne la perversion, la pathologie du régime. Depuis, le droit l’emploie comme une catégorie juridique fondamentale pour préserver les biens publics de leur mise sous tutelle par la logique de l’intérêt particulier.
Entrée en vigueur le 14 décembre 2005, la Convention des Nations Unies contre la corruption est devenue le premier instrument juridique formel anticorruption d’envergure mondiale à « établir des règles contraignantes pour les pays signataires ». En novembre 2019, la Convention mondiale sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur a été adoptée par la 40e session de la Conférence générale de l’UNESCO, devenant le premier traité des Nations Unies sur l’enseignement supérieur de portée mondiale.
« Un frein majeur à l’utilisation efficace des ressources »
L’Éducation est un droit fondamental entériné par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. L’indice de perception de la corruption, publié par Transparency International en 2021, révèle une « décennie de niveaux de corruption stagnants, sur fond d’atteintes aux droits de l’homme et de déclin démocratique ». En ce sens, le Forum mondial sur l’éducation place la corruption comme un « frein majeur à l’utilisation efficace des ressources pour l’éducation, et devrait être considérablement réduite. » Plus particulièrement, la massification de l’enseignement supérieur depuis ces dernières décennies semble donner lieu à des pratiques controversées : le 16 novembre 2022, la commission parlementaire du portefeuille de l’enseignement supérieur, de la science et de l’éducation a été avertie de problèmes rencontrés dans plusieurs institutions, tous liés aux questions de gouvernance.
De la difficulté à quantifier la corruption
La corruption prend différentes formes dans l’enseignement supérieur. Selon le Anti-Corruption Resource Centre, l’usage de la corruption dans la sphère de l’enseignement supérieur recouvre les manipulations politiques des affaires universitaires ; la corruption dans les licences et les accréditations, la corruption dans le processus d’admission des étudiants ; la mauvaise gestion financière et la fraude à la passation des marchés ; la malhonnêteté académique.
Également, il est entendu que le phénomène de corruption possède un caractère endémique dans certaines sociétés. À l’instar d’une recherche menée par les chercheurs Paul Temple et Gergy Petrov, en Azerbaïdjan et en Russie — occupant respectivement la 95e et la 71e du classement Transparency International, les recommandations entendent de se concentrer sur le capital social, à l’intérieur et à l’extérieur du supérieur. Dans ces écosystèmes, la solution apportée semble en ce sens au-delà du campus. Il apparait en effet que la corruption prend des formes différentes au regard de l’évolution des universités qui, par leur rôle d’interdépendance aux sociétés auxquelles elles appartiennent, sont ainsi inextricablement liées à ces dernières.
Selon la revue Politiques et gestion de l’enseignement supérieur : « le recours à la corruption peut être considéré, proposons-nous, comme une réponse à une situation dans laquelle le capital social est largement absent et la probabilité d’une évolution positive, à laquelle l’individu concerné prendrait une part active, corrélativement faible ». Lorsque le combat individuel semble être la norme et que l’État est vu comme arbitraire et vénal, la corruption peut être envisagée par l’individu comme une réponse rationnelle.
Selon un article de World Universities News, un ancien universitaire a déclaré que la corruption avait « englouti » les 26 institutions universitaires d’Afrique du Sud. L’universitaire professeur d’éducation à l’Université de Stellenbosch, en Afrique du Sud, Jonathan Jansen, a révélé certaines activités frauduleuses et dysfonctionnelles des établissements sud-africains au sein de l’ouvrage : A Study of Chronic Dysfonction in South African Universities. Au terme d’une approche politique et économique dans le contexte situé de l’Afrique du Sud, Jansen s’appuie sur les liens entre ressources et pouvoirs. Il soutient que le problème ne sera pas uniquement résolu par des investissements massifs en matière de « renforcement des capacités », mais propose des interventions pour produire des stabilités, telles que la dépolitisation des conseils universitaires, et la nomination d’universitaires intègres et compétents dans la gestion et la direction de ces institutions fragiles.
Un écosystème « d’économie du savoir »
Bien que la fraude soit une préoccupation ancienne, l’économie du savoir donne à voir de nouveaux défis et enjeux à l’enseignement supérieur. Dans un ouvrage passé intitulé L’économie du savoir, l’économiste français Maunoury met de l’avant le phénomène d’« intellectualisation de la production », à travers des liaisons de plus en plus étroites entre recherche, éducation et production. Dans un contexte de libéralisation rapide du secteur, les inscriptions dans l’enseignement supérieur ont augmenté et représentent une opportunité particulière pour les pays en développement, laissant entrevoir des pratiques frauduleuses. L’idée qu’un titre de l’enseignement supérieur est un « bien privé », qui profite à l’individu, et non un « bien public » au service de la société s’est désormais largement imposée.
Ainsi, il apparait une certaine complexité à saisir le concept de corruption. Si l’enseignement supérieur semble un terrain fertile aux manœuvres frauduleuses, cette complexité n’est pas sans rapport avec le contexte d’internationalisation de l’enseignement supérieur qui, dans une économie largement dominée par le savoir — par les enjeux que revêt la délivrance des diplômes — est le théâtre entre les différents acteurs de la scène internationale. Il convient également de porter un recul particulier quant à l’usage du concept de « corruption », en raison de son usage politique parfois controversé.
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