Un ultimatum échu pour le Niger

L’Afrique de l’Ouest traverse une grande phase d’incertitude depuis le coup d’État au Niger, commis le 26 juillet dernier. Dans la mêlée, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a émis un ultimatum pour exiger le rétablissement au pouvoir du président démocratiquement élu. La date limite ayant été excédée, l’organisation intergouvernementale a annoncé le 10 août « le déploiement de sa “ force en attente ” pour restaurer l’ordre constitutionnel au Niger ».

Cette annonce survient trois jours après l’échéance de l’ultimatum. Le Niger a également joué sur cette menace, en annonçant la fermeture de son espace aérien « face à la menace d’intervention qui se précise », le 6 août dernier.

Les fondements du coup d’État

Le 26 juillet, la junte militaire du général Abdourahamane Tiani, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), s’est emparée du pouvoir à Niamey en renversant le président élu Mohamed Bazoum. Le groupe armé a déclaré avoir procédé à ce coup d’État en raison de l’insécurité qui secoue le pays, mais plusieurs sources rapportent que la décision aurait été basée sur la relation houleuse entre les deux hommes.

Le président Bazoum aurait choisi de remplacer Tiani au poste de chef de sa garde présidentielle, après plusieurs mois de dégradation de leur relation. Sur un siège éjectable, celui-ci aurait préféré s’emparer du pouvoir plutôt que de se faire rétrograder. Le putsch est depuis contesté à l’international, alors que plusieurs demandent la restitution du pouvoir au président démocratiquement élu. La CEDEAO s’est jointe à la mouvance, en dénonçant le coup d’État et en imposant un ultimatum.

En contrepartie, les forces de Tiani ont obtenu un vaste soutien populaire au Niger. Plus de 30 000 partisans ont manifesté dans les rues de Niamey, le 6 août dernier, en appui au CNSP. La population n’est pas seule à encourager la junte, considérant que le Burkina Faso et le Mali ont envoyé une délégation conjointe le lendemain, en solidarité avec le Niger.

Une menace militaire surprenante, mais plausible

Notons qu’il n’est pas régulier d’entendre la CEDEAO adopter un ton aussi intransigeant envers les putschistes de la région. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ont tous subi des coups d’État depuis 2021. Ces pays ont vu leur statut de membre suspendu, et ont été affligés par plusieurs sanctions économiques. Cependant, l’organisation intergouvernementale n’est pas intervenue militairement dans ces États.

Le professeur Adib Bencherif de l’Université de Sherbrooke, spécialiste du Sahel, est abasourdi par la succession des événements : « Je suis sidéré par le ton martial adopté par la CEDEAO. Celle-ci avait eu un ton dur au niveau des sanctions économiques pour le Mali par exemple, mais s’était arrêtée à ce niveau. Dans le cas du Niger, on parle d’intervention militaire potentielle, et les dates limites sont extrêmement courtes ».

Les impressions sur la capacité militaire de la CEDEAO à tenir une telle intervention sont cependant assez mitigées. « Bien que sur le plan des ressources et de la logistique cela demeure compliqué, la CEDEAO a sincèrement l’air de considérer l’option d’une intervention militaire. Est-ce qu’ils iront jusqu’au bout ? Ça, je ne sais pas », souligne le Professeur Bencherif. « Mais en raison de l’approche intransigeante adoptée par la CEDEAO, j’ai l’impression que ce scénario est extrêmement réaliste », ajoute-t-il.

Il s’agit d’une question d’influence géopolitique, vraisemblablement. Mais plusieurs questions demeurent, selon le Professeur Bencherif : « la CEDEAO ira-t-elle jusqu’au bout ? Obtiendra-t-elle un support financier par d’autres acteurs externes, comme les États-Unis par exemple, pour mettre à l’œuvre cette menace ? » Une chose est certaine, c’est que le Nigeria a beaucoup à perdre en termes d’influence et de légitimité dans cette menace. « Le Nigeria, perçu comme le grand voisin riche et influent, perdrait en crédibilité si la CEDEAO opte pour ne pas passer à l’action », souligne-t-il.

Quels sont les scénarios les plus plausibles pour la suite des choses?

Le professeur Bencherif anticipe trois scénarios. D’abord, on pourrait assister à une « raideur » de la part de la junte militaire nigérienne, qui pourrait tenter une résistance si l’intervention militaire de la CEDEAO est mal effectuée. Ce déroulement accentuerait clairement la solidarité entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Le partenaire russe serait probablement aussi présent en filigrane, selon le Professeur Bencherif. La junte s’en trouverait gagnante, obtenant le support populaire pour sa résistance.

Puis, on peut imaginer le scénario inverse, c’est-à-dire un cas où la CEDEAO abandonnerait l’idée d’une intervention militaire après quelque temps. L’organisation pourrait alors faire marche arrière, et tenter de négocier avec les insurgés du Niger, toujours selon le Professeur Bencherif. Notons qu’actuellement, la communauté a promis le déploiement de sa « force en attente », dont on connait très peu de détails pour l’instant.

Finalement, la voie intermédiaire serait celle où la CEDEAO maintiendrait sa promesse d’intervention militaire, mais seulement au terme d’une période de plusieurs mois si la situation demeure inchangée. Dans cette option médiane, le Nigeria et la CEDEAO ne seraient pas décrédibilisés, et la junte pourrait tout de même négocier tranquillement sans perdre la face devant la population, selon le Professeur Bencherif.

Un terrain d’influence par procuration

À l’heure actuelle, deux camps semblent se dessiner. D’un côté, celui du Niger, appuyé par le Burkina Faso, le Mali, et le groupe russe Wagner. De l’autre, la CEDEAO, menée par le Nigeria, et appuyée par l’Occident. Il ne sera pas aisé de réconcilier ces deux blocs, alors que le discours anti-français occupe de plus en plus de place dans la société nigérienne.

« Le discours public anti-français est devenu très présent, mais ce récit existait déjà. Je l’ai constaté en 2017 quand je parlais aux gens dans la rue à Niamey », souligne le Professeur Bencherif. « La population nigérienne a vraiment un regard critique, dénonçant qu’il s’agit d’une politique néocoloniale pillant les ressources comme l’uranium nigérien. À cela s’est rajouté le narratif selon lequel les Français aideraient les groupes terroristes aux Sahels ». Reste donc à voir quelle sera la suite des choses pour les troupes de la CEDEAO et la communauté internationale, et quelle sera la réaction de la junte nigérienne.


Crédit image: CEDEAO

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