Par Gabriel Martin
« Devrait-on tolérer davantage les personnes rousses en société? » Cette question un peu « stupide » vous fera sourire, je l’espère.
On le sait, le « roussisme », qui est une blague immense, a parfois dégénéré et porté certaines personnes rousses à en avoir assez que l’on rit de leur crinière de feu et de leur visage tavelé de mille âmes volées. Au-delà de quelques bâtons mis dans les roues, de quelques dérapages humoristiques, qu’on se rassure : les personnes rousses s’intègrent généralement aussi bien que quiconque — voire mieux, si elles savent mettre à profit l’autodérision.
Avec un peu plus de sérieux — car au Collectif, on élève sa voix ! — interrogeons-nous : qu’est-ce qui nous fait rire lorsque nous unissons le verbe « tolérer » au syntagme « personne rousse »? Cette association est drôle en raison de son implication logique : le verbe « tolérer » comporte dans son sémantisme une composante qui renvoie à l’idée d’avoir à « endurer (autrui) ». Ainsi, lorsqu’il est question de « tolérer les roux », on implique, consciemment ou non, qu’il est question « d’endurer les roux », d’où l’absurdité amusante.
Si je ne vous ai pas endormi avec mon borborygme linguistique, vous avez compris où je me dirige : le mot « tolérer » implique l’idée d’« avoir à endurer », donc on « tolère » toujours « malgré quelque chose », que ce soit une idée, une action ou une caractéristique. On « tolère » ce qui est négativement perçu. En somme, on tolère une personne un peu comme on tolère une maladie.
Alors, que fait-on quand on prône la tolérance envers les personnes noires, immigrantes, homosexuelles, trans, religieuses, handicapées, etc.? Derrière des intentions qui se veulent dignes, on dépeint involontairement ces groupes mêmes comme étant « pénibles ».
« Oh non! Je suis un néonazi qui s’ignore! », penseront peut-être alors les chantres de la tolérance. Sans accoler une étiquette aussi sévère aux gens qui ne perçoivent pas la valeur partiellement négative du mot « tolérer », on pourrait simplement trouver judicieux de le remplacer autant que possible par « accueillir ».
Le verbe « accueillir », plutôt que d’impliquer le fait qu’on endure la présence de l’autre, implique qu’on invite cet autre dans notre cercle existentiel, non pas « malgré nos différences », mais bien « avec nos différences ». Hors de toute morale, disons donc qu’accueillir pleinement le réel d’autrui est différent de le tolérer : cela ne se fait pas péniblement, malgré lui, mais bien joyeusement, avec lui. Alors, pour le bien-être collectif, cessons de tolérer et commençons à accueillir!
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