Système public de santé et de services sociaux : À la croisée des chemins

Par Dominic Girard

Dans les derniers mois, le projet de loi 10 a été reçu par plusieurs comme une attaque contre le système public de santé actuel. Rappelons qu’il propose de fusionner des établissements de santé et de services sociaux (dont le nombre passerait de 182 à 33) et de modifier leurs modes de gestion et de gouvernance. Les économies annuelles récurrentes espérées sont de l’ordre de 220 millions de dollars et une meilleure accessibilité aux soins est promise à la population.

Or, il est difficile de prédire si les résultats seront au rendez-vous. D’un côté, plusieurs experts ont réagi en rappelant au ministre Gaétan Barrette que la centralisation n’est pas gage d’efficience et ne réduit pas la bureaucratie. En plus, elle peut ouvrir la voie à des « effets pervers importants » (Lamarche, Hébert et Béland 2014). Chercheurs et praticiens demandent plutôt à l’État de miser sur le renforcement des services de première ligne et sur les processus cliniques eux-mêmes.

En effet, outre ces changements administratifs, aucune mesure n’est annoncée pour soutenir les professionnels ni pour innover la façon de travailler auprès des usagers. Au contraire, certains spécialistes croient qu’un tel modèle de gestion peut entrainer l’uniformisation de la pratique, la perte d’autonomie professionnelle et la déshumanisation des soins. Ces conséquences peuvent agir comme des facteurs de démotivation auprès des professionnels de la santé et nuire à leur propre santé mentale (Vézina 2014). Des groupes professionnels craignent aussi de voir réapparaitre la mécanisation des soins à l’aide de méthodes issues du secteur industriel, telles que le lean management, une pratique décriée dans les dernières années.

D’un autre côté, la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) a réservé un accueil plus enthousiaste au projet de loi 10. Elle y voit une occasion de « participation accrue de l’entreprise privée à la production et à la prestation de services publics » et souhaite établir une « sous-traitance concurrentielle » dans le domaine des soins de santé (FFCQ 2014). De plus, l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) affirme dans un de ses rapports que « le système de santé dans sa configuration actuelle a atteint ses limites », et qu’une culture « ouverte sur la mesure des résultats et la reddition de comptes » doit être adoptée à grande échelle (IGOPP 2014). Or, le ministre Barrette prône un virage axé sur l’efficience et souhaite s’inspirer des modèles américains tels le Cleveland Clinic ou le Kaiser Permanente, caractérisés par une gestion serrée des ressources et une haute qualité des soins.

Les débats politiques actuels font en sorte que le système public de santé et de services sociaux se trouvera bientôt à la croisée des chemins. Mais quelle direction devons-nous donner à ce système et comment pouvons-nous y participer? Autour de ces questions est né, il y a deux ans, un comité composé d’étudiants et de professeurs de l’Université de Sherbrooke auquel des intervenants œuvrant dans la région de l’Estrie participent également. Ce regroupement a pour but d’analyser les effets de la gouvernance en santé sur l’autonomie professionnelle et la qualité des services publics. L’ECLATS (l’Espace Critique sur L’Actualisation du Travail Social) met sur pied des conférences et des groupes de discussions dont les sujets débordent le cadre du travail social.

Pour plus d’information, consultez le http://www.eclats.espaceweb.usherbrooke.ca/.

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