Par Louis-Philippe Renaud
*Ce texte fait partie d’une série de dix articles consacrés au besoin de sortir d’une trajectoire non durable.
Quels points de leviers peuvent stimuler des transformations vitales pour bifurquer vers un mode de vie durable ? Au nombre de huit, ces points d’intervention clé sont issus d’une démarche scientifique rigoureuse et audacieuse qui donne envie d’entreprendre un projet de société inclusif et ambitieux.
Dans un précédent article, une mise en contexte d’une étude récente accompagnait la présentation des cinq leviers d’actions stratégiques globales pour propulser une transformation à grande échelle, tant sociale qu’institutionnelle. Ce projet de société peut paraître ambitieux, mais son ancrage dans une expertise scientifique multidisciplinaire solide et novatrice peut aussi engendrer de l’espoir pour sortir d’une trajectoire non durable.
Cette fois-ci, un portrait spécifique des huit points de levier vient compléter le tableau général. Avec un effort collectif concentré sur ceux-ci, la réorganisation fondamentale des systèmes juridiques, politiques, économiques et sociaux devient alors possible.
Les huit points de levier
Promouvoir et soutenir des visions d’une vie bonne
Ce point de levier cherche à insuffler la représentation d’une vie harmonieuse basée sur la qualité des relations avec les autres et le non humain. Mettre en évidence les contributions de ces relations permet à la fois de bien vivre avec une consommation minimale de matériaux et d’améliorer l’expérience de vie. Les spécialistes n’en appellent pas à une dictature morale. Au contraire, l’adoption du mode de vie réel reste libre !
Pour que ce soit possible, les contextes politiques doivent bien évidemment fournir des conditions personnelles, matérielles et sociales favorables au bien-être collectif, tels que l’accès à la santé, à l’éducation et au logement. Point fort : la recherche scientifique tant à démontrer que la confiance envers son voisinage et la possibilité d’exprimer sa créativité favorisent une satisfaction de vie élevée.
Produire et consommer moins
La science est claire, produire et consommer moins doivent être des variables plus importantes que celle de la production efficace. Pendant que la population humaine moyenne double, le taux d’extraction totale de ressources triple. L’objectif ultime : vivre en fonction des limites planétaires et d’une biodiversité apte à soutenir la taille des populations, leurs modes de vie et leurs déchets.
Engager des changements transformateurs au profit de l’ensemble de l’humanité et non d’une minorité souvent plus privilégiée demeure essentiel. D’ailleurs, la nature a sa propre réalité à laquelle l’humanité doit s’adapter, et non l’inverse… Il y a donc nécessité de sortir de la trajectoire actuelle d’une consommation matérielle par personne qui suit le revenu.
S’attaquer aux inégalités
L’équipe de recherche souhaite mettre en lumière une littérature scientifique qui permet de cibler les inégalités sociétales non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen pour une durabilité environnementale. Lutter contre celles-ci contribue à la protection de la nature, car « les pièges de la pauvreté peuvent alimenter l’exploitation non durable des ressources ». Il reste qu’une remise en cause du pouvoir inégal lié au contrôle des ressources et de leur utilisation excessive par une partie de la société au détriment des autres est primordiale.
Activer les valeurs de responsabilité en dormance
Intégrer des politiques et des initiatives sociales qui accentuent l’appropriation de comportements durables par des valeurs de responsabilité en dormance est peu exploré. Pourtant, stimuler des normes sociales vertueuses liées au soin des autres et de la nature favorise effectivement un mieux-être collectif. Par exemple, investir dans l’aménagement de réseaux cyclables en même temps qu’effectuer la promotion d’une mobilité active avec ses contributions sur la santé. Surtout, adapter les approches en fonction des réalités propres aux différents milieux de vie.
Cependant, l’efficacité de ce point de levier dépend de la capacité de la population à reconnaitre des enjeux de pouvoir quand vient le temps de mettre en question les normes sociales. En effet, de puissants intérêts privés tirent profit d’un statu quo. Dans l’exemple précédent, les entreprises de combustibles fossiles sortent perdantes d’un tel virage.
Justice et inclusion dans la conservation
Loin des yeux, loin du cœur ! Plus la relation avec le territoire est significative, plus la population adopte des modes de vie durable pour préserver la biodiversité et ses services écosystémiques. En misant sur des approches de conservation juste qui incluent les communautés autochtones et locales, la possibilité que des valeurs relationnelles liées au soin du vivant soient stimulées ne fait que s’accroitre.
Externalités et télécouplages
Consommer des biens engendre des émissions de gaz à effet de serre et dégrade la biodiversité (externalités). Pour être conséquent, il devient nécessaire d’assumer ses responsabilités en adoptant des cadres politiques et juridiques qui endossent réellement les impacts des modes de vie locaux plutôt que de les faire subir à des populations éloignées (télécouplages). Construire des maisons volumineuses ou des usines de produits de luxe contribue à la déforestation et à l’exploitation minière dans des secteurs éloignés où la qualité de vie s’en trouve réduite. La population de Rouyn-Noranda et les communautés autochtones peuvent assurément en témoigner.
Technologies, innovations et investissements
Les scientifiques insistent aussi sur l’importance de transformer la réglementation pour que les technologies, les innovations et les investissements deviennent plus abordables. De plus, celle-ci doit être orientée vers la réduction des impacts environnementaux négatifs et l’augmentation de ceux qui sont positifs. Investir dans des solutions basées sur la nature en est un bon exemple. Avec leurs expériences millénaires, les écosystèmes sont les véritables spécialistes du vivant ! Elles peuvent inspirer des technologies pour répondre aux enjeux écologiques, mais elles peuvent aussi très bien capter du carbone de manière tout à fait naturelle.
Éducation et partage de connaissances
Leur proposition table aussi sur une éducation où la transmission des connaissances et les systèmes éducatifs visent la gestion d’un monde durable avec une écocitoyenneté habileté à prendre soin du vivant. Ni plus ni moins !
La suite
Qu’est-ce qui peut freiner ou accélérer la réalisation d’un tel projet de société au Québec ? Ce sera le sujet principal de la prochaine parution où la question est posée à Hugo Séguin, spécialiste en énergie, en politique climatique et en économie verte.
Source: UltraNan