Par Alexandre Ménard
Le résultat était serré, mais à 4 h du matin, le 25 juin dernier, lorsque le conservateur Don Stewart est passé en tête alors qu’il ne restait plus que trois boîtes de votes à dépouiller, il fallait se rendre à l’évidence : le parti libéral venait de perdre la circonscription fédérale de Toronto-St-Paul’s.
Cette défaite, bien qu’elle pourrait paraître sans importance, traduit deux réalités politiques considérables : celle d’un parti libéral qui se dirige probablement vers une défaite importante aux prochaines élections, et celle d’un chef de parti et d’un Premier ministre, Justin Trudeau, qui n’arrive plus à rejoindre les Canadiens.
Il aura fallu 590 voix pour que le candidat conservateur Don Stewart l’emporte finalement sur son adversaire libéral Leslie Church. Ayant pris conscience de sa défaite dans la circonscription qui était détenue par son parti depuis 1993, Justin Trudeau a rapidement publié une déclaration mentionnant que « ce n’est évidemment pas le résultat que nous souhaitions, mais je tiens à dire clairement que j’entends vos préoccupations et vos frustrations ».
Il faut dire que les libéraux parvenaient depuis plus de 30 ans, et ce même lorsque le parti a traversé des temps difficiles, à conserver cette circonscription. À titre d’exemple, les libéraux avaient conservé Toronto-St-Paul’s lors de la pire élection de l’histoire du parti sous Michael Ignatieff, lorsque celui-ci avait récolté seulement 34 sièges.
Qu’est-ce qu’on peut déduire d’une pareille défaite ?
Selon la professeure Joanie Bouchard de l’École de politique appliquée, ce qu’on peut déduire que cette défaite s’inscrit dans « la lancée du parti conservateur ». En effet, le parti de Pierre Poilievre progresse dans les sondages depuis janvier 2022 pour aujourd’hui atteindre, selon les projections du Canada 338, 42 % du vote populaire. En comparaison, le parti libéral enregistre pour la même période une chute de 10 points de pourcentage pour atterrir aujourd’hui à 24 % du vote populaire.
En termes de sièges, cela signifierait que le parti conservateur obtiendrait entre 184 et 237 sièges si des élections se tenaient aujourd’hui, alors qu’il en compte 119 actuellement à la Chambre des communes. Pour le parti libéral, la chute est vertigineuse : ayant 155 sièges aujourd’hui, le parti de Justin Trudeau chuterait à une députation entre 46 et 94 sièges.
Les causes de la progression du parti conservateur, et corollairement de la chute du parti libéral sont multifactorielles. « Le parti conservateur bénéficie d’un nouveau chef et d’une nouvelle image », selon la Pre Bouchard. « Nous nous retrouvons un peu dans les mêmes circonstances qu’à l’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir, où ce dernier se présentait comme l’alternative à Stephan Harper qui était déjà au pouvoir depuis 9 ans », établit-elle.
En effet, si Justin Trudeau avait réussi à créer un engouement autour de son projet politique en 2015, aujourd’hui, l’usure du pouvoir semble se faire sentir. Ironiquement, Trudeau fils représente désormais l’ordre établi, alors que Pierre Poilievre représente l’alternative.
Les conservateurs sont également très efficaces sur le plan de la communication politique, selon la Pre Bouchard. La promotion de slogans faciles à retenir comme « Axe the tax » ou la « Justinflation » marquent les esprits. Les conservateurs abordent également des sujets qui touchent directement les Canadiens, comme l’inflation ou la crise du logement, ce qui représente désormais un élément clé de la nouvelle stratégie de communication du parti conservateur. Depuis l’arrivée de Poilievre, le parti est également « plus direct avec l’utilisation de réseaux sociaux, notamment X, qui permet au conservateur de contourner les élites journalistiques traditionnelles et de s’adresser directement aux électeurs avec un discours et sur les sujets de leur choix », tel que soulevé par la Pre Bouchard.
Bref, la défaite dans Toronto-St-Paul’s met en lumière plusieurs dynamiques inquiétantes pour le parti libéral et son chef. Cette défaite jette également la lumière sur un « après Trudeau », et soulève donc des réflexions quant à son bilan politique depuis son élection en 2015.
Un héritage contrasté
Après 8 ans au pouvoir, quels éléments des mandats de Justin Trudeau auront un impact durable sur le Canada ? Pour la Pre Bouchard, un élément marquant des mandats de Justin Trudeau est la visibilité que son gouvernement a donnée aux causes autochtones. En effet, « quand on regarde dans l’histoire canadienne, jamais auparavant on n’avait autant donné la parole aux Premières Nations », selon la spécialiste de la politique canadienne. « Bien entendu ce n’est pas parfait, il reste encore beaucoup de travail à faire », nuance-t-elle, « mais quand on regarde l’histoire politique canadienne, les années au pouvoir de Justin Trudeau représentent un moment qui a rendu visibles les causes autochtones ».
Dans le même ordre d’idée, ses mandats ont également permis de franchir une étape vers une normalisation des nominations de personnes autochtones, de femmes et de personnes racisées. La légalisation du cannabis, la taxe carbone, les accords sur l’apprentissage, la garde des jeunes enfants et la nomination non partisane de personnes sénatrices sont également des héritages qui seront laissés par Trudeau fils.
Cependant, pour plusieurs, les mandats de Justin Trudeau sont davantage associés à des éléments négatifs, dont l’effacement du Canada sur la scène internationale, l’endettement historique du pays et de nombreux scandales éthiques.
Pour la suite?
Ultimement, la défaite des libéraux à Toronto-St-Paul’s marque un tournant significatif dans le paysage politique canadien. Les conservateurs semblent bénéficier de circonstances favorables, tandis que le parti libéral de Justin Trudeau fait face à des défis croissants. Les sondages indiquent une montée en flèche du soutien conservateur, ce qui laisse présager des élections futures difficiles pour les libéraux.
Alors que le Canada se dirige vers une période électorale cruciale, il est essentiel de se demander comment ces changements affecteront la politique canadienne et quelle vision du futur les électeurs choisiront de soutenir. Les prochains mois seront déterminants pour voir si les libéraux parviendront à inverser la tendance ou si les conservateurs capitaliseront sur leur élan actuel pour façonner le futur politique du pays.
Source: Facebook Don Stewart