Par Rémi Brosseau-Fortier
Déclenché depuis le 7 octobre 2023, le conflit résultant de l’attaque du Hamas contre des villes et des villages israéliens continue de diviser les acteurs politiques en Occident, autant en politique intérieure qu’en politique internationale. Le Canada n’y fait pas exception. Le 23 octobre dernier, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a écarté l’option d’exiger un cessez-le-feu immédiat dans le cadre du conflit opposant le Hamas et le gouvernement israélien.
En effet, lors d’une conférence de presse virtuelle en direct d’Abu Dhabi, Mélanie Joly, questionnée à quatre reprises sur le sujet du cessez-le-feu, a répondu que, même si la bande de Gaza est actuellement « le pire endroit du monde », le Canada se devait de multiplier les échanges avec « les principaux acteurs de la région » afin d’établir un « dialogue politique […] dans le moyen à long terme ». La ministre Joly cherche en effet à atteindre un équilibre entre la « protection des civils » et la libération des otages du Hamas, mais également à en arriver à « plus de paix et de stabilité dans la région », comme le rapportait Radio-Canada. Néanmoins, le Canada continue de soutenir le droit d’Israël de répondre aux actes terroristes du Hamas en conformité avec le droit international.
Selon l’UNICEF, en date du 30 octobre, les hostilités ont déjà causé au moins 1 400 morts et 5 400 blessés du côté israélien et au moins 7 703 morts ainsi que 19 743 blessés, en grande partie des enfants, du côté palestinien.
Des divergences d’opinions dans le gouvernement et la Chambre des communes
Le 20 octobre, une lettre signée par 33 députés de la Chambre des communes a été rendue publique. Celle-ci exhorte Justin Trudeau à demander un cessez-le-feu immédiat entre le Hamas et Israël. Elle postule également que le Canada doit « réaffirmer son engagement envers la coexistence pacifique d’un État palestinien libre et d’un État israélien libre ». Partagé par la présidente du Groupe d’amitié parlementaire Canada-Palestine, la députée libérale Salma Zahid, ce plaidoyer transpartisan a été signé par 23 députés libéraux, 8 députés du Nouveau Parti démocratique et les 2 députés du Parti vert à la Chambre des communes.
Le jour même, le premier ministre a réitéré la position « ferme et inébranlable » d’Ottawa en faveur d’une solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien, tel que rapporté par La Presse. Toutefois, Justin Trudeau a aussi évoqué la « cruauté systématique et brutale » du Hamas, considéré comme un groupe terroriste par le Canada, et que « toute organisation comme celle-ci [devait] être détruite », comme le rapportait le Toronto Star. Le premier ministre Trudeau maintient son appui à l’État hébreu qui a le droit « de se défendre dans le respect du droit international » face à « l’une des pires attaques terroristes de l’Histoire contre des civils », a-t-il aussi affirmé le vendredi 27 octobre selon des propos rapportés par La Presse.
La société civile canadienne réclame la fin immédiate des hostilités
Du fait de sa complexité morale et de ses multiples dimensions historiques, ethniques et religieuses, le conflit israélo-palestinien soulève des points de vue divergents entre, d’un côté, le gouvernement libéral, et de l’autre, le Parlement et les organisations de la société civile quant à la prise de position souhaitable du Canada dans cette guerre.
Le 26 octobre, une coalition composée de 70 organisations humanitaires, religieuses, syndicales et de la société civile a elle aussi exhorté Ottawa à réclamer non seulement un cessez-le-feu immédiat. Ce même groupe a aussi fait pression pour « la fin du blocus [israélien] à Gaza, et le rétablissement de l’aide humanitaire et de l’accès aux produits de première nécessité », tel que rapporté par Radio-Canada. Selon la coordonnatrice humanitaire d’Oxfam Québec, Céline Füri, le « retour des services essentiels », notamment du carburant — essentiel pour l’accès à l’eau potable et le rétablissement du courant électrique — est nécessaire pour faire fonctionner les hôpitaux dont 25 sur 35 sont à l’arrêt faute d’électricité dans la bande de Gaza.
Une ouverture du gouvernement à des « pauses humanitaires »
La même journée, à la suite d’une rencontre pour faire le point sur la situation avec les chefs des partis d’opposition, le premier ministre, Justin Trudeau, a affirmé être favorable à des pauses humanitaires dans le conflit, mais a écarté l’idée d’un cessez-le-feu. La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a aussi énoncé son soutien à une « pause humanitaire » sur le média social X, avant de supprimer sa publication en rectifiant celle-ci, préférant parler de « pauses humanitaires », comme le rapportait Le Devoir le 25 octobre.
Même si la différence entre un « cessez-le-feu » et une pause ou une trêve humanitaire semble relever d’un débat sémantique stérile, le professeur de didactique à l’Université du Québec à Montréal Olivier Arvisais souligne la différence entre ces deux termes. En entrevue avec Le Devoir, le professeur distingue ces deux termes ainsi : « Le “cessez-le-feu”, c’est un terme qui est codifié au sens du droit humanitaire international. Ça fait référence à quelque chose de très spécifique. » Le cessez-le-feu implique la fin des hostilités et du conflit dans son ensemble, alors que les termes « trêve » et « pause » font office de synonymes relevant d’une cessation temporaire des hostilités.
Ottawa et la recherche du juste milieu
Une opposition se dessine donc sur la place publique canadienne, comme ailleurs en Occident, entre la position soutenant le droit d’Israël à se défendre et celle privilégiant le respect des droits humanitaires des civils palestiniens pris au piège dans la bande de Gaza. Pour les tenants de ce point de vue, les souffrances de cette population coincée entre le Hamas et le blocus de l’armée israélienne, Tsahal, justifient les demandes d’un cessez-le-feu immédiat. Il reste maintenant à voir comment le gouvernement canadien parviendra à maintenir sa position mitoyenne entre ces deux positions pour contenir leur critique et réduire la polarisation du discours sur ce conflit au Canada.
Source: Facebook Mélanie Joly