Par Meg-Anne Lachance
Couvre-feu, institutions scolaires fermées et coupures d’internet, le Bangladesh a connu sa pire vague de violence depuis l’arrivée de la première ministre Sheikh Hasina au pouvoir. Après plus de trois semaines de manifestations monstres, l’armée bangladaise affirme que « l’ordre public est sous contrôle ».
Les manifestations, lancées par la communauté étudiante du pays le 1er juillet dernier, visaient l’abandon du système de quotas dans la Fonction publique. Depuis 1972, 30% des postes de fonctionnaires doivent être réservés aux enfants des personnes qui se sont battus pour l’indépendance du pays. La règle avait été introduite par le premier ministre, Sheikh Mujibur Rahman, père de l’actuelle première ministre.
En 2018, des manifestations étudiantes avaient poussé l’administration Hassina à réduire le système de quota. Mais une décision de la Haute Cour en juin dernier a ordonné au gouvernement de réintroduire la règle.
Débutées par de simples blocages routiers, les manifestations ont rapidement pris de l’ampleur. Plusieurs groupes, dont l’association Students Against Discrimination, sont à l’origine des contestations.
« Nous n’arrêterons pas nos manifestations tant que le gouvernement n’aura pas pris une décision prenant en compte nos revendications », a déclaré un porte-parole de l’association.
À l’origine, les organisateurs avaient comme seule revendication une révision des règles de pourvoie des emplois publics. La réaction des forces de l’ordre a cependant modifié la demande des personnes manifestantes, qui réclame maintenant la fin du mandat de Mme Hasina.
Des répressions violentes
Face aux manifestations quasi quotidiennes et à l’intensification des violences, la Cour suprême du pays a jugé « illégale » la réintroduction du système de quota, sans toutefois le retirer. Les juges ont pris la décision d’ordonner un plafond de 5% pour les postes octroyés aux enfants de combattants, une baisse de 25% comparativement à l’ancien règlement.
La Cour a également sommé aux personnes étudiantes de « retourner en classe ». Cette demande a toutefois été ignorée. Dès le lendemain matin, de nouvelles manifestations ont eu lieu.
En réaction à ces nouvelles contestations, les autorités bangladaises ont dû user d’armes « non létales » pour disperser les foules. Or, selon les informations rapportées par l’AFP, les manifestations du début de la semaine du 15 juillet auraient fait sept victimes, dont cinq dus à l’utilisation d’arme à feu.
Face à ces débordements, le gouvernement a ordonné la fermeture des établissements scolaires, dès le 16 juillet et pour une durée indéterminée. Deux jours plus tard, les forces militaires ont été déployées et l’internet coupé.
Un couvre-feu a été imposé par la police. Cette dernière a eu l’ordre de « tirer à vue » sur des foules. Le secrétaire général de la ligue Awami, Obaidul Quadur a assuré que cette instruction ne s’appliquait que « dans des cas extrêmes ».
Une enquête réclamée
La réaction des autorités a fortement été critiquée.
Le lauréat bangladais du prix Nobel de la paix, Muhammad Yunus, a dénoncé les morts hasardeuses des jeunes et a encouragé « les dirigeants internationaux et les Nations unies à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre fin à la violence ».
Le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric, avait d’ailleurs appelé à la retenue.
« Nous exhortons le gouvernement à garantir un environnement propice au dialogue. Et nous encourageons les manifestants à engager le dialogue pour sortir de l’impasse », a-t-il déclaré aux journalistes. « La violence n’est jamais une solution. »
L’ONU a par la suite demandé aux autorités de « divulguer d’urgence tous les détails de la répression des manifestations ». Elle a également affirmé soutenir la tenue d’une « enquête impartiale, indépendante et transparente » sur les possibles violations de droits humains.
« Nous comprenons que de nombreuses personnes ont été victimes d’attaques violentes de la part de groupes apparemment affiliés au gouvernement, et qu’aucun effort n’a été fait pour les protéger », a écrit, dans un communiqué, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de la personne, Volker Türk.
Une réponse gouvernementale critiquable
Selon Pierre Prakash, directeur de Crisis Group Asie, les contestations de juillet ont été le plus gros défi qu’a eu la première ministre Sheikh Hasina. A priori une crise sociale, les manifestations se sont transformées, au fil des semaines, en crise politique pour Mme Hasina.
« Au lieu de répondre aux doléances des manifestants, le gouvernement a empiré la situation », estime M. Prakash.
Pour Mubashar Hasan, un expert du Bangladesh à l’Université d’Oslo, les personnes manifestantes ont protesté « contre le caractère répressif de l’État » et ont remis « en question le leadership d’Hasina ». M. Hasan estime que les personnes étudiantes ont vu, en Mme Hasina, une dictatrice qui s’accroche « au pouvoir par la force ».
Le professeur de politique à l’université de l’Illinois, Ali Riaz, soutient que la première ministre a jeté « de l’huile sur le feu » en comparant les manifestants à des « collabos » du Pakistan. Une référence à la guerre d’indépendance du Bangladesh contre ce pays.
« Se moquer d’eux était une atteinte à leur dignité. C’était aussi un message disant combien les manifestants ne comptent pas pour ce régime qui s’estime au-dessus des lois », précise-t-il.
Sheikh Hasina est accusée avec son parti, la Ligue Awami, de vouloir étouffer toute opposition. On lui reproche d’user abusivement des institutions de l’État et d’éradiquer la dissidence par l’assassinat extrajudiciaire d’opposants.
La police a d’ailleurs effectué plus de 2 500 arrestations lors des manifestations, dont plusieurs membres du parti nationaliste du Bangladesh, rival de la Ligue Awami. L’un des principaux opposants de Mme Hasina, Ruhul Kabir Rizvi Ahmed a également été arrêté.
Selon les bilans de la police et des hôpitaux, les protestations auraient fait 193 morts. Des membres de la police et au moins un journaliste font partie des victimes. Asif Mahmud, coordinateur du groupe Students Against Discrimination, a cependant affirmé que le bilan était minoré et que son groupe travaillait activement sur leur propre liste de décès.
« Nous exigeons des excuses de la part de la première ministre Sheikh Hasina à la Nation pour le massacre d’étudiants », a-t-il formulé à l’AFP.
Source: Wikimedia Commons
Meg-Anne Lachance
Étudiante en politique, Meg-Anne a toujours été intéressée par les enjeux internationaux, sociaux et environnementaux. Après avoir occupé le rôle de journaliste aux Jeux de la science politique, elle a eu la piqûre des communications. Guidées par un sentiment d’équité, elle s’efforce de donner une visibilité aux actualités oubliées. Féministe dans l’âme, vous pourrez certainement retrouver cette valeur dans certains de ses textes!