Par Nikolas Morel-Ferland
Interdiction de l’enseignement des théories du genre et de l’orientation sexuelle, remaniements facultaires au sein des collèges progressistes et rééditions de manuels scolaires qui font mention d’iniquités raciales. Depuis 2021, les querelles académiques et politiques autour d’enjeux progressistes semblent prendre des proportions démesurées aux États-Unis.
Flanqué de son équipe, le gouverneur de Floride Ron DeSantis, pressenti comme candidat à la primaire républicaine, proposait en février dernier une refonte complète de l’enseignement supérieur au sein de l’État soleil. Au menu, fin de la protection des permanences pour les professeurs établis, cours obligatoires sur la civilisation occidentale et resserrement des outils pédagogiques permettant d’aborder le racisme.
En Floride, DeSantis mène la charge
Ces mesures, rapportées par le New York Times et La Presse, s’inscrivent dans un arsenal plus large déployé par DeSantis contre ce qu’il qualifie de « conformité idéologique » dans l’éducation. Le 6 janvier 2023, le gouverneur républicain se rendait au New College de Floride pour y annoncer six nominations sur le conseil d’administration. Parmi les nouveaux visages se trouvait Chris Rufo, activiste conservateur notoire et pionnier d’un mouvement contre l’enseignement de la théorie critique de la race.
Établissement public de petite taille, le New College de Floride possède une réputation d’institution progressiste et avant-gardiste. Une fois en poste, Rufo avouait à la journaliste Michelle Goldberg que ses collègues et lui espéraient transformer le collège en une « version publique de Hillsdale », collège chrétien du Michigan.
À la fin du mois de février, la Chambre des représentants de Floride délibérait sur le House Bill 999, projet de loi déposé par les proches du gouverneur qui vise à faire transformer les propositions de DeSantis en lois applicables à l’échelle de l’État.
Le document amendé de 23 pages détaille les changements institutionnels que connaitront les écoles publiques, s’il est adopté. À la troisième page, il est indiqué que les nouveaux conseils d’administration des universités publiques superviseront « le retrait des majeures et des mineures en théorie critique de la race, études du genre, intersectionnalité ou autres programmes qui en découlent ».
Les charges de DeSantis à l’égard du progressisme ne se limitent pas à la sphère de l’éducation. Depuis 2022, la législature de Floride a restreint l’accès à l’avortement, interdisant les interruptions de grossesse à partir de la 15e semaine.
Débat autour de la théorie critique de la race
Les événements en Floride ne sont pas sans rappeler la vague de critiques qui déferlait sur l’enseignement de la théorie critique de la race, sujet au cœur de nombreux débats depuis l’automne 2021. Selon le Washington Post, au moins cinq législatures républicaines à travers le pays auraient adopté des restrictions à l’égard de projets liés à la théorie critique de la race.
Issue des départements de sciences sociales et d’études littéraires, cette théorie critique, qui se nomme critical race theory en anglais, propose d’examiner les enjeux raciaux à la lumière de discriminations légales, historiques ou culturelles qui se seraient imbriquées dans la société. Sous cet angle, l’idée de « race » s’avère être une construction sociale, qui sous-tend à une certaine forme de domination.
Bien que le jargon académique autour de cette notion soit fréquemment évacué à des fins pédagogiques, l’examen des enjeux qui touchent les populations afrodescendantes soulève de nombreuses questions autour des usages publics de l’histoire et de la mémoire.
C’est le cas, en particulier, du Project 1619 chapeauté par le New York Times. Sommairement, cette initiative vise à recentrer le moment fondateur de la nation américaine vers son passé esclavagiste. L’année 1619 est le théâtre de la première occurrence documentée de traite outre-Atlantique et d’achat d’esclave au sein des Treize Colonies. En substituant 1619 à 1776 comme année de naissance des États-Unis, les organisateurs souhaitent réhabiliter la condition afro-américaine au cœur des réflexions collectives.
Indépendamment de l’engouement généré, les projets de la sorte suscitent des opinions partagées, et n’échappent que rarement à la controverse. Le 14 mai 2021, des élus républicains se sont présentés devant le Congrès pour dénoncer « les dangers » liés à l’enseignement de la théorie critique de la race. Parmi les arguments énoncés, on affirme que de telles interprétations des dynamiques raciales pourraient mener à plus de divisions dans une Amérique polarisée.
Livres à l’index
Dans sa lutte contre la théorie critique de la race, l’État de Floride avait pris la décision, en avril 2022, de retirer 42 des 132 manuels de mathématiques destinés aux écoles. Lors d’une conférence de presse, DeSantis justifiait ce coup d’éclat par la même législation censée limiter les questions identitaires. Certaines des éditions rejetées, comme a témoigné publiquement l’éditeur Big Idea Learning, incluaient des ateliers sur les relations interpersonnelles et la connaissance de soi.
Dans sa lutte contre ce qu’il qualifie « d’endoctrinement woke », DeSantis peut compter sur le soutien de groupes conservateurs bénévoles, comme le Florida Citizens Alliance, qui passent les manuels scolaires de Floride au crible afin d’y déceler toute trace de biais identitaires.
Face à cette pression croissante émanant du gouvernement, certaines presses ont pris la décision d’éditer leur matériel pédagogique afin d’omettre toute référence à la notion de race. Ce choix éditorial a fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours, alors qu’une image de Rosa Parks accompagnée d’un court texte descriptif circule.
L’affiche, produite par Study Weekly à l’intention d’élèves de la première année, décrit la militante afro-américaine comme une femme « qui aurait enfreint la loi en refusant de céder son siège dans un autobus ». Aucune mention des lois ségrégationnistes en place ni de son activisme auprès de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) n’est faite.
Crédit image @State of Florida