Par Emmy Lachance
Le 25 septembre dernier s’est tenu à Ottawa un vote sur la motion de censure déposée par le Parti conservateur de Pierre Poilievre contre les libéraux de Justin Trudeau. Les conservateurs n’ont pas été en mesure de coaliser assez de votes pour faire tomber le gouvernement fédéral. Les libéraux s’accrochent donc toujours au pouvoir ou du moins pour l’instant.
Voyons ce que cela implique en trois questions.
Qu’est-ce qu’une motion de censure ?
Une motion de censure est un outil dont les membres de l’opposition peuvent se servir pour faire tomber un gouvernement. Au Canada, le principe de gouvernement responsable impose au gouvernement de garder la confiance de la Chambre pour rester au pouvoir. Cela signifie que même s’il a été élu pour une durée maximale de cinq ans, prévue dans la constitution canadienne, il peut en tout temps être forcé de déclencher des élections anticipées.
La motion de censure, qui peut aussi porter le nom de motion de confiance ou de motion de défiance, est donc une manière pour l’opposition de déclencher des élections anticipées.
D’autres votes peuvent également mener à la dissolution de la Chambre : il s’agit des votes de confiance.
De manière générale, le vote sur le budget est un vote de confiance, mais le gouvernement peut également décider de faire d’un vote une question de confiance. Cela peut être pour des raisons stratégiques, soit pour forcer l’opposition à voter en sa faveur si le gouvernement est certain que celle-ci ne souhaite pas d’élections. Cette mesure peut également être prise pour réellement sonder la Chambre quant à la confiance qu’elle a envers le gouvernement.
Lorsqu’une motion de censure passe avec une majorité des voix, le premier ministre doit demander au gouverneur général, ou au lieutenant-gouverneur s’il s’agit d’une province de dissoudre la Chambre et de déclencher une élection.
Les motions de censure et de non-confiance sont normalement utilisées seulement lorsqu’un gouvernement est minoritaire. Puisqu’il faut la majorité des votes en Chambre pour qu’une telle motion soit adoptée et qu’elle ait les résultats escomptés, il serait inutile de la présenter lorsque le gouvernement occupe la majorité des sièges.
Le principe de discipline de parti impose aux élus de voter de la manière qui a été décidée par les hautes sphères du parti. Il ne s’agit pas d’une obligation légale, mais plutôt d’une convention, et seules quelques exceptions se sont produites par le passé, notamment lorsqu’il s’agissait de votes qui dépassaient les questions partisanes et avaient une composante morale ou de conscience.
Pourquoi une motion de censure maintenant ?
Les conservateurs ont déposé cette motion dans les dernières semaines parce que la situation y était favorable. En effet, depuis son élection en 2021, le gouvernement de Justin Trudeau est minoritaire, mais il jouissait de l’appui du NPD, avec qui il avait une entente depuis le début de 2022. Cette entente de soutien et de confiance assurait au gouvernement une majorité des votes dans le cas d’une éventuelle motion de censure, ainsi que le soutien du NPD dans les votes pour des projets de loi qui avantageaient les deux partis.
Le 4 septembre dernier, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a annoncé qu’il mettait fin à cette entente qui le liait au gouvernement Trudeau, justifiant sa décision par la faiblesse du Premier ministre pour tenir tête aux conservateurs et aux propriétaires de grandes entreprises.
Cette situation a mis le gouvernement de Justin Trudeau dans l’eau chaude. Ne détenant pas la majorité des sièges à la Chambre des communes, et ne pouvant plus compter sur le soutien des députés néodémocrates, celui-ci se retrouve en position de vulnérabilité devant des partis qui pourraient souhaiter déclencher une élection anticipée.
Le 24 septembre, Pierre Poilievre a déposé une première motion de censure. L’instabilité politique aurait pu mener à la dissolution de la Chambre, mais cette première tentative a été infructueuse. Seuls 120 députés ont appuyé celle-ci lors du vote le 25 septembre, soit les députés conservateurs et deux indépendants, alors que 211 députés indépendants et provenant des autres partis ont fait front commun contre les conservateurs.
Si ce revers a ébranlé monsieur Poilievre, celui-ci ne l’a pas démontré, puisque moins de 24 heures après le vote, il a déposé une seconde motion de censure contre le gouvernement, qui a été débattue la journée même, et que les députés ont encore rejeté en majorité le 1er octobre dernier.
Pourquoi la motion a-t-elle échoué ?
La motion n’a pas remporté la majorité des votes, et ce, en grande proportion. Le Bloc québécois et le NPD ont tous deux voté contre la motion. Ce résultat n’était pas surprenant, puisque le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet et le chef du NPD Jagmeet Singh avait déjà annoncé, lors de la présentation de la motion, qu’ils voteraient contre celle-ci.
Les deux chefs semblent s’entendre sur le fait que déclencher des élections aussi rapidement mènerait probablement les conservateurs au pouvoir, et cela n’avantage aucune de leurs formations.
Dans une déclaration, monsieur Singh s’est expliqué ainsi : « Nous votons contre les coupures dans notre système de santé et dans les services dont les gens ont besoin ». Selon lui, un gouvernement de Pierre Poilievre viendrait défaire le travail que le NPD a fait avec les Libéraux dans les dernières années notamment au niveau de l’assurance médicament et des soins dentaires.
Pour leur part, les bloquistes s’inquiètent des intentions de monsieur Poilievre en matière d’immigration. Ils constatent que celui-ci ne semble pas considérer de solutions particulières pour le Québec. Ils considèrent également qu’ils sont encore en mesure d’obtenir des gains pour le Québec avec le gouvernement en place et qu’il n’est donc pas pressant de tenir des élections.
Cependant, monsieur Blanchet, chef du parti, a tenu à préciser que le gouvernement avait son appui seulement si les projets de loi sur la gestion de l’offre et sur les pensions de vieillesse présentés par le Bloc Québécois étaient établis sous forme de loi irréversible d’ici le 29 octobre, sans quoi le parti entamerait des discussions pour faire tomber le gouvernement.
Crédits: Do Not Speak As Loud As My Heart-Flickr