Depuis quelque temps déjà, le chef du Parti Québécois, Paul St-Pierre-Plamondon (PSPP) milite activement pour l’encadrement du temps d’écran chez les jeunes. Ayant fait de ce « réel problème de santé publique » une priorité pour la session parlementaire, le chef du troisième groupe d’opposition a questionné le gouvernement à plusieurs reprises sur ses intentions de traiter ou non du sujet. Le temps d’écran représente-t-il réellement un enjeu pour le développement des enfants? S’agit-il d’un dossier débattu ailleurs dans le monde?
Les experts sont clairs à ce sujet : il existe un lien réel entre le temps d’expositions aux écrans et le développement des enfants. Parmi les auteurs ayant travaillé sur cette question, la docteure Sophie Domingues-Montanari publiait en 2017 une étude sur le sujet. Celle-ci faisait état des conséquences négatives d’une surexposition aux écrans pour les capacités physiques et cognitives des enfants, et attestait également un lien entre le temps d’écran et l’obésité, les problèmes de sommeil, la dépression et l’anxiété. Elle associe également la surexposition à une moins bonne santé mentale à l’adolescence.
Quelques années plus tard, de nombreux auteurs ont corroboré ces conclusions, soulignant que les écrans soulèvent d’importantes questions de santé publique, puisqu’ils nuisent effectivement au développement cognitif, linguistique et socioaffectif des enfants et adolescents. Ces conséquences seraient perceptibles chez les enfants qui consomment trop de télévision, mais aussi chez eux qui passent trop de temps devant tout type d’appareil numérique, tels que les jeux vidéo, tablettes et cellulaires.
Un problème qui prend de l’ampleur
« Les enfants d’âge préscolaire qui passent trop de temps devant un écran […] font partie de ceux qui présentent des retards et des déficits d’apprentissage à leur entrée à l’école à l’âge de 5 ans », soutient Sheri Madigan, chercheuse et professeure à l’Université de Calgary. Le phénomène prend de l’ampleur en raison de la facilité que peuvent avoir les parents d’asseoir leurs enfants devant un écran pour les divertir, étant eux-mêmes fréquemment surchargés. « Notre génération est de plus en plus pressée et occupée. L’accès facile à des écrans représente une solution perçue comme étant inoffensive pour occuper les enfants », soulève Suzanne Tough, aussi professeure et chercheuse à l’Université de Calgary.
Le temps d’écran des enfants et des adolescents a connu une croissance marquée durant la pandémie, en raison notamment des périodes de confinement et des restrictions entourant les contacts sociaux physiques. « On pensait qu’après le COVID ça allait diminuer, mais non les enfants ont gardé l’habitude, donc présentement les enfants sont autant devant leur écran que durant le COVID quand ils étaient isolés. C’est 84 % du temps éveillé de l’enfant qui est passé devant un écran pour les jeunes entre 12 et 17 ans », déplore Pierre Lavoie, triathlonien et grand promoteur de l’activité physique.
Devant ces tendances alarmantes, PSPP et le Parti Québécois ont déposé une motion en mars dernier demandant un dépôt d’un plan d’action numérique de la part du gouvernement. La demande a été rejetée par un vote de 70 voix en défaveur contre seulement 30 voix en faveur, sous prétexte qu’il existe déjà une stratégie québécoise (2022-2025) sur l’utilisation des écrans. Pourtant, plusieurs écoles privées québécoises se tournent de plus en plus vers le numérique dans le cadre de leurs activités d’enseignement, certaines écoles ayant même institutionnalisé les tablettes comme outils pédagogiques.
Domaine public vs privé
Réglementer l’utilisation des écrans chez les jeunes n’est pas chose simple, considérant qu’ils passent à la fois beaucoup de temps à l’école et à la maison. Ces deux milieux sont distincts et ne se soumettent pas aux mêmes formes de réglementation. Il est difficile d’imposer des mesures au sein des foyers familiaux puisque cela relève du domaine privé, mais dans d’autres pays, on assiste de plus en plus à la mise en place de mesures d’encadrement pour les milieux publics. Encadrer l’usage d’écrans dans un contexte scolaire serait une porte d’entrée efficace pour réglementer l’enjeu, selon plusieurs spécialistes.
L’ajout de tablettes électroniques dans le milieu de l’éducation a été fortement critiqué par plusieurs experts, dont la professeure à l’école de psychoéducation de l’Université de Montréal, Linda S. Pagani. « La recherche nous montre que les tablettes ne sont pas un avantage pour l’enseignement », souligne-t-elle. En plus d’être particulièrement chronophage, l’utilisation d’appareils électroniques s’avère particulièrement addictive. « On augmente notre consommation, puis on perd le fil du temps. On devient moins productif, on peine à se rappeler des choses, car on est trop préoccupés par notre vie numérique », déplore-t-elle.
Et ailleurs?
De l’autre côté de l’Atlantique, la France est devenue l’un des premiers États du monde à interdire les écrans dans les collèges en 2018. En adoptant cette réglementation, tous les jeunes Français ont perdu la capacité d’utiliser leur cellulaire à l’école jusqu’à au moins leurs 15 ans. Gabriel Attal, premier ministre français, a d’ailleurs profité de sa venue au Québec à la mi-avril pour visiter une école de Québec en compagnie de François Legault. En tant qu’ex-ministre de l’Éducation de la France, Attal ne s’est pas retenu d’aborder le sujet des écrans dans les écoles avec son homologue.
« C’est une possible catastrophe sanitaire et éducative qui est devant nous parce qu’on a des enseignants, des professeurs, des écoles qui nous disent que même […] à cinq ou six ans, on a des enfants qui ont du mal à se concentrer, qui sont beaucoup moins patients et c’est probablement lié aux écrans qui se sont développés. On a une étude récente qui montre qu’à six ans, un enfant passe autant de temps dans l’année devant un écran que dans la classe. C’est aussi l’éducation à la parentalité », a-t-il souligné.
Ailleurs dans le monde, les approches sont disparates. En raison des études sur les impacts des écrans sur le développement des enfants, la Suède a choisi de réintégrer en 2023 les manuels scolaires et le système papier-crayons. L’État suédois avait pourtant entrepris un virage numérique dans les classes il y a 10 ans de cela. À l’inverse, le Brésil a pour sa part amorcé un remplacement des livres par des programmes numériques depuis quelques années, et ne semble pas vouloir revenir sur cette décision.
Source: Jim Bauer Flickr