Le Québec, victime de la célébrité du chemin Roxham

Par Natasha Guay Marchand

Plus une journée ne passe sans qu’on entende parler de l’afflux migratoire incessant à l’entrée du chemin Roxham. Pour certains, la solution est simple : fermer cette entrée irrégulière. Pour d’autres, il est impératif qu’elle reste ouverte.

En 2022, le nombre de personnes migrantes ayant passé le chemin Roxham a atteint des records. Selon les données d’Immigration Canada, près de 40 000 personnes demandeuses d’asile ont été interceptées par la GRC entre les points d’entrée officielle aux frontières du Québec. C’est une augmentation alarmante quand on considère qu’en 2017, le nombre d’entrées irrégulières interceptées s’élevait à 18 836, soit les plus hauts taux enregistrés jusqu’à récemment.

François Legault est clair sur la question « il faut répartir équitablement les demandeurs d’asile entre les provinces », écrit-il dans une lettre qu’il envoie à Justin Trudeau publié dans le Globe and Mail. Au Québec, la pression du flux migratoire est devenue insupportable. Au-delà des enjeux économiques, la province peine à accueillir convenablement les personnes migrantes qui traversent la frontière à ce passage irrégulier. La pression sur les services publics continue de s’accentuer notamment pour les employés d’organismes communautaires qui offrent un soutien direct aux personnes immigrantes.

Avec le déclin du français au Québec, le premier ministre Legault a partagé sa préoccupation quant à l’arrivée massive de milliers de personnes migrantes dans la métropole, dont un grand nombre ne parle pas français. Cette augmentation drastique alourdit la pression sur les services de francisation, ce qui ralentit le processus d’intégration des nouveaux arrivants. En contrepartie, plusieurs provinces de l’Atlantique ainsi que certaines municipalités d’Ontario se sont engagées publiquement à accueillir des personnes demandeuses d’asile en provenance du chemin Roxham.

Angle mort législatif

L’entente sur les tiers pays sûrs signée entre les États-Unis et le Canada en 2002 a pour objectif d’offrir l’asile aux personnes migrantes dans le premier pays sécuritaire dans lequel ils mettent les pieds. Ainsi, le Canada peut renvoyer immédiatement une personne demandeuse d’asile en provenance des États-Unis qui se présente à un point frontalier officiel.

Toutefois, cette entente ne couvre pas les personnes qui arrivent par des points d’entrée irrégulière. Voilà pourquoi le premier ministre du Québec insiste auprès du gouvernement canadien pour que les termes de cet accord soient renégociés.

Cependant, comme l’explique Stéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (Aqaadi), à Radio-Canada, les personnes migrantes risquent d’emprunter d’autres entrées à l’insu des agents frontaliers, ce qui mettrait une pression encore plus importante sur la protection des frontières.

Le ministre de l’Immigration Sean Fraser ne semble pas optimiste quant à l’avancée des négociations. Cela fait plusieurs années que le Canada tente de modifier les termes de l’accord avec les États-Unis afin d’y inclure les entrées non officielles, comme le chemin Roxham. Jusqu’ici, les États-Unis ont toujours eu le grand bout du bâton, puisque peu de personnes migrantes passent du Canada vers les États-Unis. La donne est peut-être en train de changer, alors que Radio-Canada affirmait récemment que les services frontaliers américains ont enregistré une hausse de 846 % des traversées illégales à la frontière américaine depuis le Canada.

En effet, pour certaines personnes migrantes, le rêve américain constitue une finalité. Il serait plus facile de se rendre aux États-Unis en passant par le nord plutôt que d’emprunter les routes dangereuses du sud. Toutefois, ces personnes peuvent se retrouver prises au piège par les températures et autres risques que comporte le trajet.

Est-il souhaitable de fermer le chemin Roxham?

Fermer ce chemin devenu célèbre à travers le monde n’est pas une tâche simple. Cette route s’est transformée en véritable centre d’accueil structuré. Non seulement elle est facilement accessible par un réseau de transport organisé, mais elle est beaucoup plus sécuritaire que ses alternatives. Sa fermeture entrainerait inévitablement l’ouverture d’autres chemins plus périlleux, comme la situation en Europe le laisse entrevoir.

Par ailleurs, le gouvernement Trudeau a déjà investi plus de 155 millions pour le chemin Roxham dans les deux dernières années selon les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Les coûts de cette facture servent uniquement à la prise en charge des nouvelles personnes arrivantes. Plus de 50 % de ce montant sert à l’hébergement tandis que l’autre partie sert à payer les services de santé, de transport ou encore de traduction.

Dans l’éventail des solutions, le Canada pourrait simplement mettre fin à l’entente. C’est ce que réclament le Bloc Québécois et le NPD. Compte tenu d’un recours accru à la détention des personnes migrantes aux États-Unis, le Conseil canadien pour les Réfugiés et Amnistie internationale considèrent que ces derniers ne sont plus un pays sûr pour les demandeurs d’asile et demandent, sur cette prémisse, l’abolition de l’accord. Si tel était le cas, les personnes migrantes n’auraient plus à s’inquiéter d’être refoulées aux États-Unis ou vice versa et pourraient ainsi présenter une demande officielle au point frontalier.

Pas de solution miracle

Que les termes de l’Entente tierce sur les pays sûrs soient renégociés ou abolis, ou que le chemin Roxham ferme définitivement, rien ne pourra cesser la hausse des flux migratoires. Le nombre de personnes réfugiées forcées de fuir leur foyer bat des records chaque année.

Avec la hausse des changements climatiques, l’intensification des conflits et des persécutions depuis la dernière décennie, les pays devront faire preuve d’une grande adaptation. Le Canada et les États-Unis peuvent se lancer la balle au bond, mais cela ne fera que déplacer le problème. Le chemin Roxham n’est-il pas la sonnette d’alarme qu’il est temps pour les États de collaborer sur la question de répartition responsable et éthique des personnes migrantes ?  


Crédit image @Pixabay

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