La mer Rouge : le nouveau front du conflit Israël-Hamas?  

Par Rémi Brosseau-Fortier 

À l’heure où le conflit opposant le Hamas et l’État d’Israël s’enlise après plus de 100 jours, l’instabilité semble se propager à l’ensemble du Moyen-Orient. En effet, la mer Rouge, l’une des voies maritimes vitales pour le commerce international, est, depuis plusieurs semaines, le théâtre d’attaques commises par les rebelles Houthis du Yémen contre des navires marchands. En réponse, depuis le 11 janvier, les États-Unis et le Royaume-Uni ont procédé à plus de 73 frappes contre le groupe yéménite sur son territoire.  

C’est à la suite d’attaques contre des navires américains, marchands et militaires, que Washington et Londres ont lancé de premières frappes. Soutenues par huit pays alliés, dont l’Australie et le Canada, ces attaques ciblent des sites militaires dans plusieurs régions du Yémen contrôlés par les Houthis, notamment dans la capitale Sanaa. Dans une déclaration commune, les membres de l’alliance ont déclaré chercher « à restaurer la stabilité en mer Rouge ».  

Pour sa part, le président des États-Unis, Joe Biden, a affirmé que cette opération est une action « défensive » ayant pour but de protéger le commerce international en réponse « directe aux attaques sans précédent des Houthis de navires internationaux en mer Rouge », tel que rapporté par Le Devoir. Ainsi, Washington a déployé de nombreux navires de guerre comme le porte-avions américain Dwight D. Eisenhower pour protéger cette zone maritime où circule 12 % du commerce mondial.  

Les Houthis, des marionnettes de l’Iran? 

Depuis le 19 novembre 2023, ce sont au moins 26 attaques qui ont été effectuées par les Houthis contre le trafic maritime dans la mer Rouge. Ceux-ci affirment agir par solidarité avec les Palestiniens et le Hamas, s’opposant à Israël en visant des navires ayant des liens avec l’État hébreu. Appelés officiellement Ansar Allah, les « partisans de Dieu », les Houthis sont un groupe chiite issu de la famille Houthi. Groupe à la fois religieux, politique et militaire cherchant à contester le gouvernement du Yémen depuis la fin des années 1990, les milices houthis et leur actuel dirigeant, Abdul-Malik al-Houthi, ont réussi à s’emparer de la capitale Sanaa en septembre 2014.  

Soutenus par l’Iran, némésis de l’Arabie Saoudite, les Houthis sont perçus comme une menace par Riyad. C’est pour cette raison que le gouvernement saoudien a lancé en mars 2015 une coalition militaire soutenue par l’Occident pour rétablir le gouvernement du président Abdrabbo Mansour Hadi. La perspective de voir un groupe épaulé par l’Iran gagner la guerre civile et prendre le contrôle de l’ensemble du Yémen représente en effet un danger pour Riyad, qui partage une frontière au sud avec ce pays. Contrôlant des territoires où réside environ 60 % de la population yéménite ainsi que la capitale, seul l’Iran reconnaît la légitimité des Houthis. Le gouvernement du Yémen, reconnu majoritairement par le reste du monde, siège quant à lui dans la ville portuaire d’Aden.  

Thomas Juneau, professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, explique dans une entrevue avec Radio-Canada que l’Iran fournit aux Houthis un important soutien militaire, technologique ainsi que des renseignements tactiques. Les États-Unis soupçonnent Téhéran d’avoir octroyé au groupe rebelle yéménite les missiles et les drones de longue portée employés pour attaquer les navires marchands internationaux dans la mer Rouge.  

Pour M. Juneau, les Houthis ne sont pas des pantins de la République islamique d’Iran. En réalité, il existe un alignement des intérêts locaux des Houthis avec ceux, régionaux et géopolitiques, de Téhéran : « Ce que les Houthis font en mer Rouge, c’est certain qu’ils le font grâce au soutien iranien, en coopération et en coordination avec l’Iran, mais ils ne le font pas sous les ordres de l’Iran ».  

Les véritables objectifs des Houthis et de l’Iran  

Derrière la façade du soutien envers les Palestiniens ainsi que la volonté de faire cesser l’agression et le siège de la bande de Gaza par Israël, le groupe des Houthis cherche avant tout à faire avancer sa propre cause. Adoptant une analyse réaliste de la question, le spécialiste Ahmed Aboudouh du groupe de réflexion britannique Chatham House écrit que les Houthis « cherchent à améliorer leur position dans les négociations de paix qu’ils mènent avec les Saoudiens, à être reconnus comme un véritable mouvement de résistance et à s’affirmer comme un pilier central de l’axe de la résistance iranien ». De plus, pour Thomas Juneau, l’influence sur le trafic de la mer Rouge a pour motif de devenir « un acteur incontournable, dominant » grâce à des attaques médiatisées qui pourront augmenter la renommée de l’organisation au-delà de la péninsule arabique.  

Du côté des Iraniens, s’opposer et nuire aux intérêts d’Israël revient à s’attaquer indirectement aux deux principaux ennemis du régime de l’ayatollah Ali Khamenei : l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Thomas Juneau souligne que, même si le conflit au Yémen est, à l’origine, une guerre civile, celui-ci s’est internationalisé au point de devenir le champ de bataille d’une guerre par procuration entre, d’un côté, l’Iran chiite (tout comme les Houthis) et, de l’autre, l’Arabie Saoudite sunnite avec ses alliés, comme les Émirats arabes unis et les États-Unis.  

Vers une régionalisation du conflit? 

Plusieurs analystes redoutent que les braises du conflit Israël-Hamas embrasent le reste du Moyen-Orient. Au courant des dernières semaines, une escarmouche frontalière opposant l’Iran et le Pakistan et une attaque de missiles de Téhéran contre l’Irak et la Syrie font craindre qu’une simple étincelle soit suffisante pour faire exploser la poudrière. Le 21 janvier, la BBC rapportait au moins huit zones au Moyen-Orient où se déroule simultanément une crise politique, sécuritaire, militaire ou terroriste sous une forme ou une autre.  

C’est dans ce contexte de polycrise que l’année 2024 débute dans une région du monde ayant déjà subi les guerres, les épidémies, les exils, les famines et les régimes autoritaires rigoristes et réactionnaires. Avec un cessez-le-feu difficilement envisageable entre Israël et le Hamas et l’inaction de l’ONU, cet état des choses ne semble pas prêt à changer de sitôt. 


Source: Wikimedia Commons

Scroll to Top