Par Nikolas Morel-Ferland
Les Cayes, 20 août 2021. À peine le camion d’aide humanitaire est-il immobilisé que les résidents, durement éprouvés par le tremblement de terre du 14 août dernier, se massent dans la rue. La précieuse cargaison de nourriture ne suffira pas à apaiser la foule, qui commence à s’impatienter de l’absence de soutien de la part de Port-au-Prince.
Les efforts de secours tournent au ralenti dans cette ville du sud d’Haïti, l’une des plus durement touchées par cette nouvelle catastrophe naturelle. Le bilan du séisme de magnitude 7,2 est tragique; les autorités font maintenant état de plus de 2200 décès, sans compter les blessés et la destruction subie par les principales infrastructures.
Ce désastre n’aurait pu trouver pire moment pour frapper la perle des Antilles. Il s’agit en effet de la seconde épreuve de taille qui vient ébranler la république créole en l’espace d’à peine quelques semaines. Rappelons à cet effet l’assassinat du président Jovenel Moïse dans sa résidence, lors de la nuit du 7 juillet, par un groupe de tueurs armés.
Beaucoup de questions, peu de réponses
Qui a commandé ce coup d’État? Pour quelles raisons? Deux mois plus tard, l’enquête avance toujours à pas de tortue. Une chose est certaine, l’impasse politique complique l’acheminement d’aide humanitaire aux sinistrés.
En vertu de la Constitution de 1987, le président de la Cour de cassation, l’équivalent en Haïti de la Cour suprême, se voit temporairement conférer les fonctions de la présidence dans l’éventualité du décès de ce dernier. Comble de malchance, l’homme qui occupait ce poste, René Sylvestre, est décédé de la COVID-19 en fin juin.
Un amendement de la Constitution adopté en 2012 stipule toutefois qu’il incombe plutôt au premier ministre de remplir la fonction présidentielle, travaillant conjointement avec le conseil des ministres jusqu’à ce que l’Assemblée nationale puisse entériner un nouveau président. Or, le 5 juillet, Moïse annonçait son intention d’élire Ariel Henry à titre de nouveau premier ministre.
Le pays s’est donc retrouvé au milieu d’une transition du pouvoir des plus complexes jusqu’au 20 juillet, date à laquelle le premier ministre par intérim Claude Joseph acceptait de conférer les pouvoirs à Henry.
La recherche d’un coupable
Les circonstances entourant cet apparent coup d’État restent toujours floues. Au lendemain du meurtre de Moïse, la police haïtienne annonçait avoir fait la lumière sur la culpabilité d’un groupe de vingt-six mercenaires colombiens et de deux individus possédant la double nationalité haïtienne américaine. Les hommes se seraient fait passer pour des agents de la DEA (Drug Enforcement Agency) opérant en Haïti.
La liste de potentiels suspects a rapidement pris de l’expansion dans les jours suivants, les autorités s’affairant à établir ceux qui auraient pu être les cerveaux derrière cette opération.
À l’heure actuelle, trois noms ressortent du lot : Christian Emmanuel Sanon, un ressortissant haïtien résidant en Floride et médecin, Joseph Felix Badio, ancien ministre de la Justice et John Joël Joseph, ancien sénateur. Les autorités ont demandé de l’aide à la communauté internationale pour conduire une enquête.
Une présidence controversée
Depuis le départ de Duvalier à la tête du pays, le petit État des Caraïbes est marqué par des épisodes sporadiques de soulèvements populaires, qui doivent se comprendre dans un contexte d’une population désabusée par la corruption et la difficulté d’accès à l’appareil politique.
Dès son arrivée au pouvoir en 2016, Jovenel Moïse est perçu d’un mauvais œil par certains Haïtiens, qui craignent que ce dernier ne puisse remédier à la situation économique désastreuse depuis la présidence de Michel Martelly, l’un de ses devanciers. Un scandale éclate en 2018, alors que Moïse est accusé de corruption, suivant un emprunt controversé de 3,6 milliards de dollars à la multinationale vénézuélienne Petrocaraibe. Plusieurs estiment que l’élite politique aurait profité des fonds destinés à la reconstruction d’Haïti.
Le douloureux souvenir de 2010
Les événements du 14 août ne sont pas sans rappeler la tragédie qui secouait le pays en 2010, alors qu’un autre séisme meurtrier frappait au large des côtes, causant l’une des pires catastrophes humaines de la mémoire récente. Le tremblement de terre, d’une puissance de 7,3 sur l’échelle de Richter a fauché plus de 220 000 âmes, fait 300 00 blessés et détruit le domicile d’un demi-million de citoyens et citoyennes. Dix ans plus tard, les conséquences sociales et économiques se font toujours sentir en Haïti.
Cet épisode a provoqué de nombreux changements au sein de l’économie du pays, résultant en la présence accrue de compagnies étrangères et d’organismes non gouvernementaux. Plusieurs politiciens ont été accusés de détourner des fonds provenant de l’aide internationale.
Le chemin vers un capitalisme de catastrophe?
« Reconstruire en mieux ». Il s’agit du slogan du programme de reconstruction d’Haïti inauguré en 2012. Au menu, une plus grande décentralisation de l’État et un développement des leviers de croissance que sont le tourisme, les ressources naturelles ou l’industrie de sous-traitance. La dernière décennie peut ainsi se caractériser par la venue de nombreuses multinationales.
Cette initiative était le fruit d’une collaboration entre les gouvernements d’Haïti, des États-Unis, ainsi que de la Banque interaméricaine de développement à la hauteur de 300 millions de dollars. Malgré une combinaison d’investissements privés et publics, la population locale décrit une stagnation, voire une dégradation de la situation économique dans les dernières années.
Les femmes : victimes oubliées
Les catastrophes naturelles peuvent amplifier les disparités entre les différentes catégories d’individus au sein d’une même société. Pouvons-nous craindre une détérioration des conditions de vie de la femme haïtienne à la lumière de cette crise politique?
Une étude publiée cette année dans le International Journal of Environmental Research and Public Health sonne l’alarme. En analysant des données quantitatives sur les habitudes de vie des Haïtiens à la suite du tremblement de terre de 2010, les chercheurs ont fait de douloureux constats. Il semblerait en effet que le séisme qui a ébranlé l’Île a augmenté drastiquement le taux de VIH chez les femmes. Pour les auteurs, cette conclusion doit se comprendre en lien avec la vulnérabilité de la condition féminine qui s’est aggravée avec la catastrophe.
Crédit photo @ Angelo Giordano