Par Marianne Fortin Faubert, étudiante au deuxième cycle en gérontologie et Victoria Vieira, étudiante au premier cycle en travail social
Le dernier congrès de l’Association canadienne d’études du travail et du syndicalisme (ACETS) s’est tenu à Montréal le 19 juin dernier. À cette occasion, nous avons eu la chance de présenter, avec la professeure Annabelle Berthiaume du département de travail social, la première phase de notre recherche conjointe intitulée « Entre encadrement et partage du travail : exercice de définition du bénévolat, de la formation et de l’intervention dans trois organismes communautaires ».
Cette communication s’est déroulée dans le cadre d’un panel ayant pour thématique « la « gratuitisation » du travail dans ses interfaces : entre exploitation et autonomisation ». Cette expérience a été rendue possible grâce à un soutien financier du Fonds d’appui à l’engagement étudiant (FAEE) de l’Université de Sherbrooke.
Les organismes communautaires sont reconnus comme des lieux de résistance et de mobilisation en raison de leur rôle d’actions militantes favorables au développement social et à la lutte aux injustices sociales. Pourtant, selon les résultats préliminaires de la recherche, ils sont également des espaces de paradoxes. Situés entre la marchandisation de leurs services et leur désir d’autonomie, les organismes communautaires doivent également naviguer entre l’engagement des personnes impliquées et le risque de travail gratuit qui en découle. La question centrale de la recherche était donc la suivante : comment définir les frontières entre le travail, le stage de formation et le bénévolat au Québec ?
Constats
Les premiers constats montrent que ces frontières ne se définissent pas nécessairement en termes de responsabilités et que la reconnaissance des personnes actrices du milieu est inégale. Par exemple, les personnes bénévoles ne sont pas forcément mentionnées dans la structure organisationnelle, bien qu’elles soient parfois tenues au « secret professionnel ». De plus, les statuts des membres actifs et des membres du personnel des organismes diffèrent considérablement en ce qui concerne leur protection, les risques et leurs droits.
Il est apparu également qu’aucun principe commun ne permet de délimiter clairement les frontières du travail, car la rémunération se base sur des valeurs, politiques et principes distincts selon les organismes référents ; d’un côté, le personnel bénévole peut s’engager dans une logique de « don/contre-don », motivée par un désir de satisfaction personnelle, intime à l’individu, tandis que, de l’autre, des allocations sont quelques fois offertes aux personnes militantes afin de reconnaître leur contribution.
À ce stade de la recherche, il apparait que les rôles et identités des personnes œuvrant dans le communautaire sont complexes et qu’elles se trouvent en tension entre militantisme et professionnalisme. Cela brouille les frontières entre travail et engagement, et soulève des questions cruciales sur la valorisation et la reconnaissance des diverses formes de participation dans les organismes communautaires.
Cette présentation a donc permis de mettre en lumière quelques-uns des défis liés à la définition et à la reconnaissance du travail dans le secteur communautaire, mais la réflexion sur ces enjeux se nourrit également des perspectives historiques et contemporaines sur la « gratuitisation » du travail des femmes dans d’autres secteurs, tel qu’exposé par les autres panélistes.
Des études multiples
Comme le souligne Camille Robert (UQAM), le tournant néolibéral québécois des années 1980 a contribué à la « gratuitisation » du travail des syndiquées de l’éducation et de la santé, puisque ce virage a transformé le travail des femmes en exacerbant la précarisation de leurs conditions de travail. Les travailleuses ont vu leur charge de travail augmenter sans reconnaissance corrélée de la part du gouvernement, qui en a profité pour capitaliser sur cette situation afin de maintenir de faibles coûts, ajoutant ainsi une pression considérable sur ces femmes. Ce tournant néolibéral a intensifié le recours au travail non rémunéré pour pallier les défaillances du système social public, notamment grâce au travail des parents bénévoles lors des levées de fonds, par exemple.
Selon Mylène Fauvel (McGill), au début de la pandémie, les organismes communautaires ont été les premiers à se mobiliser pour soutenir leurs communautés. Pour le gouvernement, ces derniers étaient des sous-traitants à moindre coût, capables de fournir des services essentiels. Cette gestion par l’urgence a non seulement précarisé les conditions de travail, mais a également suscité une indignation chez les femmes qui, révoltées par la reconnaissance éphémère et symbolique dont elles faisaient l’objet, ont exprimé leur frustration.
Comme le souligne Fauvel, la « gratuitisation » des services publics a entraîné plusieurs conséquences, dont la précarisation des conditions de travail des femmes. Si elles doivent travailler au rabais en période de pandémie, pourquoi le gouvernement devrait-il les rémunérer davantage en temps normal ? Cette précarisation des conditions de travail impacte également les personnes accompagnées par les travailleuses des organismes communautaires puisque la précarité des conditions de travail conduit à leur épuisement, affectant inévitablement la qualité des services offerts.
Charge mentale des mères
En plus, cette « gratuitisation » du travail des femmes a un impact significatif sur les mères, en particulier sur les mères monoparentales, comme le souligne Chloé Dauphinais de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ), puisque cela exacerbe la surcharge de responsabilités qui pèse sur ces dernières. En plus de vivre avec des conditions économiques précaires, elles doivent supporter des semaines de travail interminables, combinant emploi(s) rémunéré(s) et travail domestique. Ces femmes se retrouvent donc à jongler avec de maigres revenus tout en assumant seules l’ensemble des tâches domestiques. Cette réalité a de nombreuses répercussions sur leur quotidien, rendant la conciliation entre responsabilités familiales et professionnelles difficile. Alors que les inégalités de genre se creusent, il devient d’ailleurs encore plus ardu de mobiliser ces parents pour instiguer des avancées sociales.
Finalement, après avoir examiné les impacts du travail gratuit dans ces différentes interfaces, les panélistes ont engagé une discussion sur la définition même de ce concept. Elles ont exploré la tension entre l’idéalisation de la participation bénévole, perçue comme une forme d’empowerment, et la réalité des opportunités de bénévolat et de stages offerts, qui sont souvent contraintes par un sous-financement et la pression de fournir des services autrefois assurés par le secteur public ou complémentaires à celui-ci. Cette dynamique engendre alors un processus de « gratuitisation » du travail. Dans ce contexte, la question se pose : comment reconnaître ce travail et en tracer les frontières ?
Source: ACETS