Mer. Avr 17th, 2024

Par Gabrielle Goyet

Le 23 février dernier, le Tennessee est devenu officiellement le premier État américain à légiférer contre les drag queens. Le motif? Protéger les enfants de ces prestations exubérantes, considérées trop sexualisées. Depuis, le débat entourant ces spectacles s’est diffusé à d’autres États. L’art de la drag fait effectivement couler beaucoup d’encre, et ce, même au Canada.

Il ne s’agit toutefois pas d’un phénomène récent : déjà vers la fin du 18e siècle, le mouvement prenait de l’essor aux États-Unis malgré les critiques. William Dorsey Swann est reconnu comme un pionnier dans le domaine. Cet ancien esclave noir est l’une des plus anciennes drag queens autodécrites et le premier militant queer américain connu, selon le livre House of Swann : Where Slaves Became Queens – and Changed the World.

L’art du drag, en soi, consiste à incarner un personnage féminin avec des traits exagérés. Majoritairement interprétés par des hommes, ces personnages peuvent aussi être interprétés par des femmes ou des personnes trans. Bien que l’origine soit parfois contestée, le terme « drag » réfèrerait aux personnes Dressed as girls. Ces identités s’expriment souvent dans le cadre de spectacles, où l’on retrouve chant, danse, voguing ou encore lip-sync.

Les républicains en guerre

Depuis quelques mois, des élus républicains de certains États américains mènent la vie dure à plusieurs acquis sociaux, dont l’avortement et les cours d’éducation sexuelle. Mais dans la nouvelle mire des conservateurs américains, on retrouve désormais les Drag Queen Story Hour. Ces événements sont comme tout autre rendez-vous de lecture jeunesse, à l’exception près que les personnes conteuses sont des artistes drag. Lancés à San Francisco en 2015, ces rassemblements sont critiqués par la droite américaine. Au cœur des blâmes, on accuse les drag queens d’y faire du militantisme en y impliquant les enfants, ou encore de mettre en péril leur innocence.

L’affront entre les républicains et ces artistes queers s’est amplifié alors que l’État du Tennessee a adopté, il y a un peu plus d’un mois, une loi limitant grandement les représentations drag dans les lieux publics et/ou devant les enfants. Il pourrait s’agir du premier État d’une série à adopter une telle réglementation, alors qu’une dizaine d’États ont reçu des propositions similaires.

Les manifestations se multiplient également, alors qu’on assiste à des mobilisations de la communauté queer et des anti-manifestations de groupes extrémistes de droite, à l’instar des Proud Boys. Ces derniers ont usé de tactiques d’intimidation à quelques reprises, alors qu’on les a perçus armés ou scandant des insultes homophobes.

Quand le débat traverse la frontière

En réaction à ce qui se produit au nord depuis quelques semaines, les parlementaires québécois se sont mobilisés pour envoyer un signal contraire à leurs voisins américains. Québec solidaire a déposé une motion le mardi 4 avril pour déplorer « la montée des propos haineux et discriminatoires envers les personnes de la communauté LGBTQI2S+ dans la sphère publique ». Le contenu de la motion aurait pu faire des vagues, mais il a toutefois été adopté à l’unanimité.

Cette initiative solidaire a été motivée par la tenue de manifestations s’opposant à la tenue de l’heure du conte de la drag queen Barbada, à Sainte-Catherine, le dimanche précédent. C’est loin d’être un projet nouveau ; Barbada fait la lecture d’histoires à des enfants dans des bibliothèques partout au Québec depuis 2016. La ministre Martine Biron, responsable des enjeux liés aux communautés LGBTQ+, a pris la défense de cette dernière, évoquant que « les drag queens, avec leurs déguisements, leurs perruques et les paillettes, ça attire l’attention et ça amène les enfants à aimer la lecture ». En réponse, Éric Duhaime, chef conservateur ne siégeant pas à l’Assemblée nationale, a instigué une pétition contre le financement étatique des activités pour enfants impliquant des drag queens.

Toujours le mardi 4 avril, le Nouveau Parti démocratique (NPD) a déposé à l’Assemblée législative de l’Ontario un projet de loi. Celui-ci entend créer des « zones à bulles » de 100 mètres autour des adresses où se tiendront à l’avenir les événements drag afin de protéger les artistes LGBTQ+ des manifestations haineuses. Tout individu à l’intérieur de cette zone serait passible d’une amende allant jusqu’à 25 000 dollars si elle fait preuve de haine, d’intimidation ou de harcèlement à l’égard de ces personnes.

Le Parti progressiste-conservateur de Doug Ford, formant actuellement un gouvernement majoritaire en chambre, a mentionné être ouvert à l’idée d’étudier le projet, sans prendre d’engagements concrets dans le domaine. Le Nouveau Parti bleu de l’Ontario, qui ne possède actuellement aucun élu à l’Assemblée, s’est pour sa part montré scandalisé par l’initiative du NPD.

Redonner la parole aux personnes concernées

Si les gouvernements et partis politiques ne sont pas unanimes quant à la façon de gérer cette controverse, plusieurs drag queens ont pris la parole pour se positionner sur l’enjeu. Scarlett BoBo et Crystal Quartz ont témoigné dans un récent article de Radio-Canada avoir été victimes de harcèlement et de commentaires haineux. La seconde a d’ailleurs mentionné « dépenser tout son argent pour assurer sa sécurité », alors qu’elle s’est résignée à embaucher des agents privés.

Pour sa part, Barbada a été invitée sur le plateau de Tout le monde en parle, afin de donner sa version des événements du dimanche 2 avril. La veille, la célèbre Rita Baga prenait la parole sur Facebook : « J’ai vu et lu beaucoup d’articles et publications dans les deux dernières semaines. Peu provenaient directement de drags. Écoutez Barbada demain. C’est bien, les allié. es. On a besoin de vous. Mais être entendu. e et écouté. e, c’est mieux ».

Barbada a donc pris la parole d’une façon très articulée, et somme toute très optimiste, le dimanche 9 avril. « Les gens ne sont pas obligés d’aimer l’art drag, l’important c’est de le respecter. Mais pour ça, il faut prendre le temps de découvrir quelles sont les activités, de comprendre qu’elles ne sont pas là pour pervertir les enfants », a-t-elle mentionné. Étonnement, la drag queen a axé son discours sur le positif : « [sic] dans tout l’ouragan qui s’est passé cette semaine, ce qui m’a le plus ébranlé, c’est le positionnement des politicien.nes. On a refusé au Québec de céder à la haine. Ils et elles se sont mobilisé. es unanimement, et ça m’a fait du bien ».


Crédit image @BANQ

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