Notorious B.I.G. nous avertissait, dans ses lucides 10 commandements, de ne jamais consommer le produit que l’on vend. Mais Biggie se trompait. Car on ne parle pas ici d’avoir le pouce vert.
Par Julien Beaulieu
La production culturelle est limitée à des courroies de transmission de masse bien précises. N’est pas artiste qui veut! Difficile d’imaginer le premier venu entrer chez TVA, se faufiler dans les souliers de Charles Lafortune pour quelques heures puis retourner dans l’anonymat le lendemain. Ce sont des professionnels certifiés, membres de l’UDA pour la plupart. Être artiste, c’est un métier. Un métier difficile, certes, avec un salaire qui n’est pas garanti. Mais ça reste un métier.
Avec égards pour cette communauté créatrice dévouée et talentueuse, il faut admettre que le statut « professionnel » d’artiste a ses limites. En effet, il prive tous les autres d’une participation concrète à la culture populaire.
Autrefois, la culture se faisait dans les chaumières. C’était le peuple qui en était à l’origine. « Et cette identité était populaire, non pas dans le sens qu’elle pognait auprès du peuple, mais dans le sens qu’elle venait du peuple et qu’elle vivait par lui. C’est lui qui la créait organiquement et qui choisissait, ensuite, selon ses choix et ses préférences, d’en colporter et d’en transmettre tel aspect plutôt que tel autre. » (Catherine Dorion, Créer c’est résister, résister c’est créer)
Évidemment, le Québec fourmille de créateurs. Mais ceux-ci sont pour la plupart au repos, résignés devant la place que l’industrie peut leur laisser. Car cette industrie fait ce qu’elle peut. Les artistes sont des produits que l’on met en marché, et cela a sa part de risque. Un diffuseur qui soumet un artiste à son public prend une chance. Peut-être que le public aimera, peut-être qu’il n’aimera pas. Et s’il n’aime pas, le diffuseur risque de le perdre. Il faut donc un artiste fiable qui s’engage à long terme : sinon, le diffuseur sera doublement perdant – soit face à l’échec, soit aux prises avec un succès qu’il ne pourra rentabiliser. Il faut des artistes professionnels qui consacrent leur vie à leur art : des comédiens et des humoristes à temps partiel seraient trop peu rentables financièrement parlant.
Mais encore : « Si une communauté cesse de créer ses propres mots, sa propre musique, ses propres représentations du monde, sa culture meurt. Et une communauté qui n’a plus de liant n’est plus une communauté. » (Catherine Dorion, précitée).
Le poil de la bête épilée
N’est pas artiste qui veut! Et celui qui tente sa chance sans percer restera un amateur. Un faux. Un prétentieux qui n’a pas compris qu’il doit abandonner une activité qu’on lui promet vouée à l’échec.
Les enfants suivent des cours de piano. Ils dessinent à la garderie. Ils participent à Secondaire en spectacle en chantant devant des parents enchantés. Et ils deviennent grands. Et on leur dit que, maintenant, il faut soit laisser ça aux autres, qui savent comment faire, soit aller risquer sa vie à l’école de musique. Mais que fait l’être humain qui a besoin de s’exprimer? Doit-il se contenter de consommer la culture des autres?
Les gens – sauf les artistes professionnels – n’ont plus leur place dans le système actuel autrement qu’en tant que spectateurs. Ils ne font plus de culture. Ou s’ils le font, c’est en tant que marginaux. En tant qu’imitateurs stigmatisés des vrais. « Il joue de la guitare avec ses amis, mais c’est pour le plaisir, les jeudis soirs. » On dirait que tout ce qui est « pour le plaisir » ne peut être sérieux ni prétendre à une quelconque profondeur.
Heureusement, il y a des événements comme le Cabaret WellKing et son micro ouvert. La Maison des Arts et de la parole fait de même. Si nous nous rassemblons, nous finirons bien par trouver quelque chose à nous dire. Grandes peuvent devenir les portes d’entrée vers une vraie culture populaire – par le peuple et pour le peuple.