« Voix marginalisées : francophones noirs et créoles de couleur en Louisiane » 

Les midis-conférences du département d’Histoire ont accueilli, le 27 mars dernier, le professeur de français et linguistique Thomas Klingler de l’Université de Tulane à La Nouvelle-Orléans en Louisiane. Malgré le fait qu’il ne soit pas historien, M. Klingler était de passage au Québec dans le cadre d’un colloque organisé. 

La Louisiane a une histoire toute particulière se démarquant de celle des autres états américains puisqu’elle a des liens anciens et profonds avec notre histoire qui remonte à la fin du 18e siècle notamment. En effet, avec la signature du traité d’Utrecht, en 1713, une partie du Nouveau-Brunswick est tombée entre les mains des Britanniques avant même les débuts des conflits de la guerre de la Conquête. Bien que certains Britanniques s’installent dans ces régions anciennement françaises, les Acadiens étaient encore majoritaires. Cette majorité ne rassure en rien les Britanniques qui craignent que les Acadiens se rallient à la France lors d’éventuels combats.  

Pour éviter un tel scénario, les autorités britanniques ont décidé de les déporter vers d’autres colonies britanniques en 1755. Cet épisode est communément appelé « le grand dérangement » chez les descendants acadiens. Un dimanche matin, alors que tous sont regroupés à l’église, les soldats anglais sont passés à l’action. Arrachant les hommes de leurs familles, ils ont brûlé les terres et les maisons, forçant plus d’un millier de gens à quitter leur patrie et leur famille. Entassés dans des bateaux insalubres, fuyant dans les bois, on estime qu’environ 53 % des Acadiens ont péri de maladie et/ou de famine lors de cette période. Bon nombre d’entre eux ont été attirés par la Louisiane et ont décidé de s’y installer retrouvant une langue qui leur était familière. C’est à ce moment que s’est développée la culture cadienne, « Cajun ». Le legs de cette histoire que nous partageons se reflète également à travers ces « voix marginalisées » que nous présente monsieur Klingler. 

Un brin d’histoire  

Thomas Klingler a débuté sa conférence en établissant le contexte historique. La présence de groupes noirs francophones à La Nouvelle-Orléans en Louisiane a toujours été diversifiée. Les premiers francophones noirs sont arrivés vers 1706 avec un certain Bienville et Châteauguay, qui ont amené plusieurs esclaves avant l’arrivée du premier négrier en 1719. À l’aide d’archives, on a découvert de premiers éléments créoles via un procès datant de 1748. Les échanges entre un certain Pluton et Laurent (un esclave noir) sont alors rapportés à l’écrit.  

De cet échange, Thomas Klingler y ressort un mélange de français et de créole. En 1809, on rapporte une forte immigration de réfugié en provenance de Saint-Dominique. Il s’agit d’une population de plus de 10 000 personnes dites de « couleur libre ». C’est une augmentation très importante. Plus éduquée et plus cultivée, une élite de « gens de couleur » voit le jour. L’un deux, monsieur Jean-Baptiste Victor Marcou-Séjour, né le 2 juin 1817 à La Nouvelle-Orléans, est écrivain d’expression française. Il écrit, entre autres, Les Cenelles, un recueil de poésies, créé et édité par des « gens de couleur » libres. Malheureusement, en 1830, des lois discriminantes font leur apparition afin de freiner cette élite. On interdit dans la même année l’éducation aux enfants d’esclaves et en 1841, l’école publique est interdite aux personnes de couleur. Encore aujourd’hui, « l’éducation est une valeur très forte dans cette communauté ». Avec la guerre civile de 1861 à 1865, les personnes de couleur créoles perdent de leurs positions privilégiées et depuis, l’anglais a fait son apparition.  

Qui sont les créolophones?  

Le créole de Louisiane représente un sujet bien documenté et répertorié dans le monde universitaire. On associe la langue principalement aux populations noires et aux créoles de couleur, mais il existe aussi des locuteurs blancs. En danger, les créolophones sont peu nombreux et la transmission se fait de moins en moins. Les particularités lexicales et/ou grammaticales de créole louisianais comprennent entre autres l’absence de genre grammatical, par exemple, « mo » et « to » pour « mon » et « ma » et « ton » et « ta ». Les pronoms sujets se mélangent avec le français et le créole. Par exemple, les pronoms singuliers (je, tu, il et elle) reste semblables, mais le « nous » devient « mo » et le « vous » devient « to ».  

On retrouve également des marqueurs placés devant le verbe pour exprimer les notions de temps, de mode, et d’aspect. Par exemple, « ap/apé » pour le progressif, « té » pour le passé. Ce qu’on remarque c’est la coexistence des deux langues retrouvées dans ce dialecte. Une des remarques du conférencier souligne le manque de recherches et de publications scientifiques consacrées aux francophones noirs et/ou de couleur qui représentaient une population assez large, mais malheureusement elle est inconnue ou du moins méconnue, car on associait le français à la population blanche de Louisiane. Il n’existe pas qu’un seul créole parlé en Louisiane ni même un seul français. Il y a des particularités dans les locutions dans le parler français de certaines régions de la Louisiane.  

L’étude de Hamlett (1954) fait exception en se consacrant au français des locuteurs noirs, surtout dans la paroisse évangélique. C’est la seule source d’étude linguistique à relever ces structures « ma » et « ta » chez les francophones de couleur en Louisiane. La problématique que se pose Thomas Klingler, c’est « comment peut-on expliquer ces “ma” et “ta” chez les francophones? » Son hypothèse, c’est qu’il y a une influence du créole dans le marqueur du futur. Fait intéressant, nous signale le conférencier, c’est que le futur en « m’as » est connu au Québec. Par ailleurs, il y a des indices démographiques et linguistiques de la présence de Québécois dans cette région de Louisiane. Plusieurs noms de famille du Canada (non acadien) sont bien représentés comme Deshotel et Dupré. Il y a d’autres indices linguistiques qui suggèrent un contact avec le Québec et la paroisse d’Évangéline qui pourraient représenter un héritage du français des colons venus du Canada. Mais à ce jour, on connaît très mal le français de ces populations noires de la Louisiane. 


Source: Wikipédia

Elizabeth Gagné
Cheffe de pupitre CULTURE

Étudiante à la maîtrise en histoire, Elizabeth a toujours été passionnée par les arts et la culture. Travaillant de pair avec ses collègues depuis 2022 à promouvoir le programme des Passeurs culturels à la faculté d’éducation, elle travaille également depuis un an au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke. Intriguée par tout ce qui nous rend profondément humains, elle souhaite élargir et approfondir le sens de la culture en proposant des articles parfois hors normes.  

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