Maria Chapdelaine : portrait d’une famille soudée

Par Camille Sévigny

La première sherbrookoise du film MARIA CHAPDELAINE, réalisé et scénarisé par Sébastien Pilote, s’est déroulée le 15 septembre dernier à la Maison du Cinéma de Sherbrooke. Pour l’occasion, quelques acteurs interprétant les prétendants du personnage éponyme étaient aussi sur place afin de promouvoir ce long-métrage québécois vivement attendu.

Ce film est une adaptation du roman du même nom écrit par Louis Hémon et publié en 1913, qui raconte l’histoire de Maria, fille d’« habitants » (pionniers) établis dans la région lointaine et encore hostile du Saguenay–Lac-Saint-Jean au début du siècle dernier. L’œuvre, aujourd’hui considérée comme un classique de la littérature québécoise, met de l’avant l’importance de la famille, du travail acharné et de la fragilité d’une vie humaine exposée aux soubresauts extrêmes de la nature, aussi sublime que dangereuse. Maria, personnage principal, y entreprend le périple tortueux menant de l’enfance à l’âge adulte. Lorsque trois prétendants (Eutrope Gagnon, François Paradis et Lorenzo Surprenant) lui demandent sa main, la jeune femme doit choisir celui qui pourra lui offrir un avenir à sa mesure.

À la merci d’une nature aussi belle qu’impitoyable

Utilisé à des fins de propagande catholique dans les années suivant sa parution, le roman s’inscrit majoritairement dans la tendance traditionnelle et patriarcale, ce qui est compréhensible étant donné l’époque et le contexte socioéconomique qu’il aborde et dans lequel il fut publié. Bien que plusieurs autres adaptations cinématographiques aient vu le jour depuis la parution de l’œuvre d’Hémon, la romance associée au choix matrimonial auquel fait face Maria y prend toute la place. On y voit une héroïne romantique stéréotypée, unidimensionnelle, éprise et attendant que l’un de ses prétendants la sauve miraculeusement des conditions pénibles dans lesquelles elle vit. Ainsi, quelques décennies plus tard, il allait de soi que quelqu’un remette les pendules à l’heure quant à la réalité sans fard décrite dans le roman et vécue jadis par plusieurs de nos ancêtres.

Un film qui perdurera dans le temps

C’est en effet l’une des motivations ayant poussé Sébastien Pilote (La disparition des lucioles, 2018) à réaliser ce film : « J’ai fait ce film comme une lettre d’amour aux gens comme ma mère, ma grand-mère, de familles nombreuses, qui se sont occupées de leurs grands-parents [qui ont fait] beaucoup de sacrifices [et qui avaient un grand sens du] devoir. » Ce désir d’être fidèle à la réalité, on le sent bien présent dans le concret, dans les multiples tâches du quotidien (nourrir les animaux, traire les vaches, défricher, etc.) que réalisent les membres de la famille Chapdelaine et leur entourage. On l’entend aussi à leurs expressions, à leur façon de parler et on le voit à leurs manières, toutes en retenue et en politesse. Quant aux idées romantiques exagérées des autres adaptations, il n’en est rien ici, selon le souhait du réalisateur qui « voulai[t] débarrasser le roman de tous ses sédiments [idéologiques]. »

Certes, bien que les idées erronées aient disparu, on décèle bien la touche personnelle du réalisateur. En effet, la poésie de la nature et de l’être humain y sont magnifiquement représentées, entre autres par les jeux de Sara Montpetit, qui en est à son tout premier rôle au cinéma et la tête d’affiche, ou encore celui de Sébastien Ricard, le patriarche. Alors que les yeux de la première en disent autant, sinon plus que ses répliques, la deuxième manie avec grâce et habileté l’écart fragile entre la sensibilité de l’homme et la rudesse obligée d’un grand travailleur. Ainsi, une histoire banale aux premiers abords se dévoile toute en subtilité et en complexité, de la première à la dernière scène. Bref, ceci va en accord avec l’intention du réalisateur, qui désirait un film qui puisse perdurer et murir dans le temps, ce qui risque fort de se produire étant donné la pluralité d’interprétations possibles pour chacun des éléments qui le composent.

Une distribution remarquée et remarquable

Une distribution majoritairement jeune donne vie aux multiples personnages allants et venants devant nos yeux, un aspect qui encore est une fois un clin d’œil au souci de réalisme recherché par Sébastien Pilote. Une sublime direction photographique, réalisée par Michel La Veaux, transforme la nature, la rendant omniprésente en lui donnant un rôle de premier plan, alors qu’elle dicte le rythme et les actions des personnages au gré des saisons. De forêts froides et menaçantes en hiver, aux lacs et rivières s’écoulant vivement au printemps, les spectateurs et spectatrices seront hypnotisés du début à la fin par la valse enivrante des éléments naturels. La trame sonore composée par Philippe Brault, ainsi que les bruits et silences de la nature, immersifs, participent tout autant à l’envoutement général.

Parmi les acteurs présents sur place, Antoine Olivier Pilon, qui interprète Eutrope Gagnon, l’habitant, le voisin travaillant et timide des Chapdelaine, s’estime heureux d’avoir pu collaborer à un projet étoffé et complexe dans son interprétation. Il souligne le plaisir qu’il a eu de tourner en pleine nature et la possibilité d’interpréter un personnage dont le caractère ressemble au sien. Émile Schneider interprète le charismatique coureur des bois François Paradis, un personnage qui lui sied à merveille. Il voit son rôle comme un hommage à son grand-père, un homme posé et intègre, des traits qu’il transpose habilement dans son jeu. Tous deux travaillent déjà sur de nouveaux projets à venir, tout en planifiant du temps de repos.

Au terme de ce tout récent film, on en retient que la vie est fragile et qu’il faut faire face aux épreuves en communauté plutôt que seuls. Embarquez-vous dans un voyage au cœur des grands bois ancestraux du Nord et découvrez la poésie douce-amère du quotidien de nos courageux ancêtres!


Source photo @  Pionniers Productions Inc.

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