Par Alexis Jacques
Coproduction canado-belge de David Lambert (Je suis à toi) entre le drame romantique et la comédie dramatique, Les tortues (2023) brosse le portrait du déclin d’un couple de sexagénaires qui s’aiment trop pour divorcer.
L’intrigue débute avec les Quatre saisons de Vivaldi en fond sonore. Les émotions d’Henri, jeune retraité de la police bruxelloise, sont convaincantes et contrastent avec celles de son brocanteur de mari, expatrié anglais. Très tôt, le scénario nous rappelle, en plus attristant, le fabuleux Love is Strange (2014).
Accessoirement à cette histoire d’amour arrachée par le temps se développe une métaphore animalière volée au titre du film. Un aquarium trônant au centre de l’appartement fait vivre deux tortues d’eau, une espèce à tendance homosexuelle, qui, déduisons-nous, représente le couple. Or, si les tortues sont censées évoquer la sagesse, la mollesse du quotidien et la promesse de finir vieux ensemble, les séquences de David Lambert s’avèrent un peu saccadées. Verdict : le symbolisme des reptiles est fort, mais il aurait pu être mieux exploité. Le clin d’œil de la paroi vitrée de l’aquaterrarium reflétant apparences et infidélité est néanmoins réussi.
Des thèmes intéressants
Les mêmes sujets propres à la filmographie queer reviennent inlassablement (image corporelle, application de rencontres immédiates, bordels, sexualité, drag, etc.), à la différence près où ils s’incarnent à travers un couple vieillissant, usé par une vie ordinaire. Lambert inscrit donc des intérêts poncifs chez un couple qui ne l’est pas. À ce propos, il faut souligner l’intéressante comparaison à laquelle se livre Thom près de la piscine. Parmi les corps sculptés et glabres des nageurs, l’envie désespérée de plaire et la crainte de vieillir sont palpables.
Du sous-thème d’une jalousie revancharde entre les époux est discernable, la futilité des rendez-vous insipides qui servent vainement à anéantir l’ennui du duo. Entre des générations de gais que tout oppose (apparence physique, culture numérique, droits et opprobre social), cette même jalousie se transforme en une envie plus ou moins bien dissimulée d’une liberté qui est étrangère aux homosexuels du siècle dernier.
L’une des meilleures scènes du film demeure celle, silencieuse, mais parlante, du transport à l’hôpital de Thom, qui dépeint à merveille les deux solitudes qu’entraîne la séparation de corps des époux et illustre l’étendue d’un rapport fragile utilisé comme armure contre le monde extérieur. Ici, Pierre Lapointe trouve les mots justes avec sa balade La plus belle des maisons. Il faut remercier Mario Sévigny pour son travail de grande qualité à dénicher une trame musicale ad hoc.
Crédibilité
En somme, Les tortues souligne les relations naguère interdites, épousant la cruauté et l’inconsistance d’un couple qui cherche à ne pas sombrer dans les rides et l’oisiveté. Cela, pour finalement prendre conscience de la grande sincérité de leur amour qu’il fallait seulement délivrer de l’institution matrimoniale. Loin de l’intrigue surfaite des drames LBGTQ+ traditionnels, David Lambert, fidèle à son art, s’est laissé tenter par une vision plus crédible et généreuse de l’amour au masculin. Les minutes manquaient. Un grand long-métrage, l’un des bons coups du réalisateur belge, sans trop de bruit.
★★★★ 4/5