L’art total autochtone : repenser l’art du conte

Par Myriam Baulne

Dossier thématique/Le 8 février dernier avait lieu le vernissage de l’exposition Yatsihsta’ : Porter les braises, à la Galerie d’art Antoine-Sirois. Cet événement, associé à la phase 2 du projet YÄ’ATA – Art Total Autochtone, a réuni les artistes Jacques Newashish et Hannah Claus, le commissaire wendat Guy Sioui Durand, la conservatrice et directrice artistique Caroline Loncol Daigneault ainsi que la conseillère en pédagogie autochtone Patricia-Anne Blanchet lors d’une table ronde plus qu’enrichissante !

Le vernissage de l’exposition a rassemblé plus d’une cinquantaine de personnes au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke, le 8 février dernier. Toutes étaient suspendues aux lèvres des artistes invités et du commissaire wendat Guy Sioui Durand, qui ont su éclairer davantage le public sur l’histoire derrière les œuvres présentées. La maîtresse de cérémonie, Patricia-Anne Blanchet, a signifié le début de la table ronde en invitant Jacques Newashish, artiste atikamekw multidisciplinaire originaire de Wemotaci, à performer un chant improvisé accompagné de son tambour traditionnel. Le public silencieux se laissait porter par les paroles ; la majorité ne comprenait sans doute pas la signification des mots, mais se sentait touchée par ces sons gutturaux et profonds, qui sont inédits à la francophonie. Plusieurs ont fermé les yeux pour mieux entendre. C’était une introduction magnifique à une table ronde sous les thèmes du partage, de la transformation, de la communication et de l’ensauvagement de l’esprit.

Un pas vers la réconciliation

Durant la table ronde, le commissaire wendat Guy Sioui Durand a rappelé que l’exposition Yatsihsta’ : Porter les braises s’inscrit dans la phase 2 de l’événement YÄ’ATA – Art Total Autochtone, qui a proposé de nombreuses activités sur le campus et dans la ville de Sherbrooke depuis l’automne 2022, dont une balade en kayak et en canot sur le lac des Nations, lieu de reproduction des tortues serpentines, de nombreuses conférences et prestations musicales et artistiques ainsi qu’une soirée de contes d’hiver organisée par REVE nourricier et mettant en vedette plusieurs artistes autochtones tels que Jacques Newashish, Joséphine Bacon, Michel Teharihulen Savard et bien d’autres. Le titre Yatsihsta’ : Porter les braises fait référence aux braises que l’on porte aux poêles afin d’alimenter le feu chauffant les maisons longues ou les Shaputuan, ce qui permet aux conteurs de continuer leur narration dans le froid de la nuit. Porter les braises est aussi la traduction française du nom de famille O’bomsawin, répandu dans la communauté waban’akie.

La chair, la Terre, le temps, les pierres

Les artistes et le commissaire s’entendent pour dire que YÄ’ATA est une grande et belle étape dans le processus de vérité et de réconciliation en Estrie et de la décolonisation des arts et de la culture autochtones à l’Université de Sherbrooke, et que Yatsihsta’ : Porter les braises est une fenêtre sur les réflexions identitaires, l’ouverture et le besoin de connexion humaine.

L’artiste atikamekw Jacques Newashish a particulièrement su capter l’attention du public lors de cette table ronde par son expression passionnée et sincère et ses mots lourds de sens : « C’est le moment de montrer qui nous sommes. On nous a tellement oubliés, qu’on ne nous a plus vus. (…) Je viens du territoire, ma chair vient du territoire. Mon corps est le médium de ma création. Je suis habité par mes ancêtres. Ils me parlent, et l’art est mon instinct. »

Série d’oeuvres de Jacques Newashish : Autoportrait I (2021), Shaman – Esprit de la forêt (2021) et Autoportrait II (2021)

Dans de nombreuses cultures autochtones, la communication est considérée comme un processus interactif et circulaire plutôt que linéaire. Les traditions orales, comme les contes, les chansons, les cérémonies et les rituels, jouent un rôle essentiel dans la transmission de la connaissance et de la sagesse d’une génération à l’autre. L’exposition elle-même semble un reflet d’un grand choc : la salle blanche, neutre et éclairée détonne des œuvres exposées, pour la plupart réalisées avec des médiums et des matériaux naturels, emplis du territoire et de la mémoire d’un peuple. Une œuvre de Mélanie O’bomsawin, Senimikwaldamw8gan – Mémoire de pierre (2022) attire tout de suite l’œil des personnes présentes ; cent petites pierres sont disposées en rangs sur le sol et recouvertes de tabac. Elles font référence aux cent enfants enterrés anonymement près du pensionnat de Kamloops. « Chaque pierre représente un enfant qui ne deviendra pas parent ni grand-parent, » explique Mélanie O’Bomsawin.

Senimikwaldamw8gan – Mémoire de pierre (2022), Mélanie O’bomsawin

Au mur, de plus grosses pierres sont isolées sur des tablettes. En s’approchant, on entend les pierres parler, car de petits haut-parleurs sont cachés à l’intérieur et font jouer des enregistrements distincts. Ces enregistrements, ce sont des témoignages de pensionnaires, dont deux en langues autochtones, porteurs des cycles du temps, fondation de l’histoire d’un peuple.

Moderniser l’oralité

Sur le mur, juste à côté, sont suspendus des pendentifs traditionnels, qui ressemblent à de petites sacoches en cuir. Ces pendentifs sont normalement destinés à recevoir la photo d’un être aimé, mais au milieu de celles-ci ont été cousues… des cartes SIM.

Dans une entrevue avec La Tribune, Suzanne Pressé, coordonnatrice suppléante de la galerie pendant l’absence de Caroline Loncol Daigneault, explique qu’il s’agit d’une évocation des archives autochtones, longtemps tributaires d’une tradition orale. L’artiste se demande ainsi si la mémoire de ses aïeux survivra forcément mieux avec l’aide des nouvelles technologies. « C’est aussi une référence aux recherches universitaires sur les autochtones, mais auxquelles ces derniers n’avaient pourtant pas accès. Maintenant que tout est numérisé, des démarches ont été entreprises pour les récupérer », précise Suzanne Pressé.

Michel Teharihulen Savard, artiste de Wendake aussi connu sous le nom de Atindehkwaronnion, affiche une installation nommée a’kaekwänohronhkwänion’, qui mélange passé et présent, en mettant notamment à l’honneur une photographie de son mentor, Zacharie Vincent. Christine Sioui Wawanoloath montre aussi que l’art autochtone peut être bien campé dans la modernité grâce à ses cinq œuvres alliant médiums traditionnels et modernes, entre vannerie, pétroglyphes, peinture acrylique et dessin numérique. C’est sans oublier les œuvres de Jacques Newashish, pour la plupart des autoportraits colorés alliant peinture, sérigraphie et coulisse jet sur toile, rappelant le style des graffitis colorés comme on en retrouve ornant certains bâtiments en ville.

L’exposition Yatsihsta’ : Porter les braises est malheureusement terminée. Toutefois, demeurez à l’affût de prochaines activités qui seront peut-être initiées dans la suite du projet YÄ’ATA – Art Total Autochtone. L’art joue un rôle important dans l’accomplissement de la passation culturelle autochtone et de la décolonisation du campus. C’est une occasion en or d’apprendre, de découvrir et de prendre part au mouvement !


Crédit photos @ Myriam Baulne

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