Par Samuel Bédard
Il est bien rare que la parole autochtone s’invite dans la vie du citoyen ordinaire. La pièce de théâtre Manikanetish se le permet, elle qui présente le quotidien d’une classe composée d’Innues et de Mi’kmaqs.
Entre drame, questionnement et petites victoires, l’adaptation théâtrale du deuxième roman de Naomi Fontaine nous plonge dans un récit parfois inégal, mais ô combien touchant!
Incursion au bout de la 138
L’histoire débute alors que Yammie (Sharon Fontaine-Ishpatao) remet les pieds dans sa réserve natale d’Uashat après 15 ans d’absence pour y enseigner. Sa préparation et sa force mentale sont rapidement mises à l’épreuve devant ses nouvelles personnes étudiantes aussi chaotiques que téméraires et imperméables à la moindre de ses requêtes. Sur les chaises aux dossiers en plastique, elle découvre, au fil des calendriers scolaires, des élèves attachants, mais profondément désenchantés par la vie sur la réserve. Parviendra-t-elle à convaincre les membres de sa classe que leur avenir peut être plus radieux que leur passé ?
C’est sous cette dernière ligne directrice que l’on retrouve une distribution entièrement composée d’Innue et de Mi’kmaq. Il est impossible de passer sous silence l’excellent travail de Scott Riverin dans le rôle de Rodrigue, un adolescent devenu vieux trop tôt à cause de problèmes familiaux. Emma Rankin brille également dans son interprétation de la fougueuse Myriam. Même si, visiblement nerveuse par moments, elle incarne avec justesse la jeune fille innue qui aspire au bonheur, malgré tout. Ces deux personnages tirent vers le haut la distribution quelque peu inégale dans leur habileté théâtrale.
De grandes forces, des petites faiblesses
C’est bien là l’une des grandes forces de la pièce: la voix des Premières Nations est au cœur du récit, sans compromis. À travers les dialogues, parfois en Innu, et les chansons interprétées avec brio en Innu par le très talentueux Jean-Luc Shaptu Vollant, les acteurs et actrices nous transportent habilement dans leurs univers respectifs. On ne ressent pas l’impression de se faire raconter une histoire, mais bien d’en vivre une parmi tant d’autres. Même si la narration en dehors du récit de Naomi Fontaine nous sort parfois de cette impression qui se rapproche du voyeurisme, l’effet reste tout de même réussi.
Le côté très intime des dialogues et de la mise en scène permet de s’initier à la détresse présente dans les réserves autochtones, sans pour autant tomber dans le ton moralisateur ou le défaitisme. On sent que les expériences personnelles de la distribution habillent les échanges des personnages, ce qui élève d’un cran la qualité de la narration.
Dans cette configuration épurée, l’agencement du décor du gymnase de l’école s’adapte avec ingéniosité à cette pièce centrée sur la parole. Avec seulement quelques chaises et une table, sa polyvalence permet aux personnages de se promener à différents endroits en maintenant les protagonistes au premier plan. Bien que certaines transitions sont parfois mal introduites, le côté humain de la pièce réussit à pardonner ses imperfections.
Même si quelques défauts se glissent dans les rouages de la pièce, Manikanetish offre une incursion réussie dans une réalité qui a trop souvent été ignorée sur nos scènes et dans nos écrans.
Source: Site Grand Toronto