Par Marianne Mélen
Virginie Despentes est connue pour être une écrivaine trash et punk. Elle n’a pas peur des mots et appuie là où ça fait mal, elle nous fait sortir de notre zone de confort. Cependant, Cher Connard n’est pas un roman qui décoiffe comme les autres ont pu le faire. Et ce n’est peut-être pas plus mal, au final.
Cher Connard, ça commence fort, sans filtre. Un peu comme les débats sur les réseaux sociaux. Ça démarre avec une publication Instagram injurieuse. Oscar, écrivain peu connu qui a tout de même eu sa petite heure de gloire, dézingue le physique de Rebecca, actrice culte quinquagénaire qui a mal vieilli selon lui. La réponse de Rebecca ne se fait pas attendre. Elle est cinglante : « Cher connard (…), j’espère que tes enfants crèveront écrasés sous un camion et que tu les regarderas agoniser sans rien pouvoir faire et que leurs yeux gicleront de leurs orbites ». Et voilà qu’une correspondance épistolaire est lancée entre ces deux protagonistes que tout oppose ou presque.
Le démarrage de l’histoire est drôle et punché. Au fil du livre, le récit s’amollit un peu. On a l’impression d’avoir fait le tour de ce que Rebecca et Oscar avaient à se dire. Leur correspondance tourne parfois au monologue interne. Sur 350 pages de correspondance, différents sujets sont abordés : les divisions au sein du féminisme, MeToo, harcèlement sur les réseaux sociaux, patriarcat, capitalisme, dépendances à la drogue dure et à l’alcool, Narcotiques anonymes, COVID, confinement. Ça fait beaucoup. On survole les thèmes sans y entrer réellement.
Ce n’est donc pas les thèmes qu’il aborde qui font que ce roman est radical. Sa radicalité réside ailleurs et se perçoit de manière plus diffuse. Elle réside dans la manière dont Despentes va conduire les dialogues entre ses personnages et la manière dont elle construit ces derniers. Dans Cher Connard, on ne se lève plus et on ne se casse plus. On discute, on prend le temps de réfléchir et d’échanger. On concilie. Rebecca et Oscar vont finir par devenir amis.
Ce qui peut nous secouer, c’est d’être plongé dans l’esprit et les pensées d’Oscar. On voit tout son cheminement. Il passe d’un homme incapable de se remettre en question et de concevoir qu’il a réellement pu faire du mal à Zoé, son ancienne attachée de presse, à un homme qui tente de déconstruire sa manière de faire et de voir. Et c’est là que ça peut être dur. On a envie de détester Oscar pour ce qu’il a fait. On a envie de l’insulter, parfois. Et puis, on finit par se dire qu’on le comprend. On ne valide pas ses actes, mais on finit par éprouver de l’empathie pour lui.
À une époque divisée par la violence de certains débats, ça fait du bien de voir deux personnages a priori irréconciliables, s’accompagner pour évoluer et apprendre à comprendre l’autre en osant faire tomber le masque. C’est peut-être bien cela qui est le plus subversif, venant de quelqu’un comme Despentes : le salut du personnage féminin principal ne vient pas d’un refuge dans la sororité ou dans un féminisme consolateur, mais de son amitié inopinée avec un homme qui se remet en question.
Crédit image @Virginie Despentes