Par Pascal Rodio, responsable Librairie, Campus UDS de Longueuil
Quand les feuilles tombent, le feu pogne à point
Automne s’avance dans l’octobre. Les couleurs s’embrasent et, à vélo, le froid coule dans mes os. Débarqué au chaud, entre deux arrêts de métro, que faire ?
L’autre jour, à la Coop, j’ai attrapé le dernier Alain Deneault. Faire que !, paru en octobre. Parce qu’il était là, rouge et gris. Il va prolonger, je le sais, une fièvre survenue en début d’année.
Garder le feu en vie.
Ça a commencé dans le blanc de l’hiver avec Rêve animal. Marie-Claude Loiselle y partage sa rencontre avec les peintures rupestres de Lascaux. Depuis ce jour, au revers de ses paupières, des animaux de tout temps s’animent, s’expriment, l’invitent au creux de la nuit. Se pose la question : qu’avons-nous perdu à nous enfermer loin des plumes et des crocs? Bien plus tard, en septembre, Croire aux fauves de Natassja Martin rouvre en moi cette question de la frontière : que sommes-nous si ce n’est des brèches ?
Le feu est tissé des songes, je le sais maintenant.
La fièvre se poursuit au printemps avec la lecture de L’Hypothèse K. d’Aurélien Barrault. Lui, astrophysicien, confronte la science: face à la mise à mort généralisée du vivant (qu’on essentialise à la menace climatique), la réponse ne peut être technique. Elle sera poétique ou ne sera pas. J’adhère.
Le feu brûle plus fort.
Peu avant l’été, je lis pour la première fois Baptiste Morizot, Manières d’être vivant. Philosophe atypique, il se fond dans le pas des loups et contemple les nuées d’oiseaux. Lui aussi, se demande : que faire pour les sauver de nous ? Il propose. On en sort bifurqués et affutés.
Le feu brûle plus loin.
L’été venu, Alain Damasio me surprend à sortir un essai. L’écrivain de science-fiction s’aventure dans la Vallée du silicium, cette Silicon Valley hallucinée qui pond du rêve transhumain en pompant du fric vilain. Le cœur d’un corps malade. La prouesse damasiesque est de trouver de petits interstices où la poésie peut s’accrocher là où tout est déjà mort de cristal liquide.
Le feu brûle plus haut.
Finalement, Faire que ! au sous-titre éloquent : L’engagement politique à l’ère de l’inouï.
Que faire ? Dans son style tranchant, Deneault explore en chorale les contours de la question, y répond un peu, dresse une synthèse brulante qui emmène plus loin ce que je ne pense qu’en friche. Il nomme les braises de nos révoltes, déchaîne les flammes sur les coupables. Tous les coupables. Surtout, il trouve à nos feux secrets une cheminée commune.
Alain Deneault a-t-il épuisé ma fièvre ? Je ne crois pas non. Au contraire. Elle ne demande pas à être guérie.
Le feu brûle encore. Je m’en vais le nourrir. Et vous, que faites-vous ?
L’ensemble des titres mentionnés dans la chronique sont disponibles à la Coopérative : en magasin, sur les deux campus, ou en ligne : usherbrooke.coop