Par Victoria Vieira
Du 10 au 18 juin, une quarantaine de personnes étudiantes ont participé à l’École d’été organisée par Annie Lambert, professeure, et Émilie Pothier-Tessier, chargée de cours à l’École de travail social.
Ce cours a permis la rencontre et la réflexion entre usagers-entraîneurs (UE), personnes étudiantes et personnes professeures sur des sujets variés et captivants tels que les stigmas et préjugés, la transidentité, l’environnement, l’entraide, le vieillissement urbain en co-construction avec les personnes ainées, l’expression artistique, la santé mentale positive et le croisement des savoirs. Tous ces thèmes ont été abordés dans une dynamique de collaboration et d’échange entre personnes étudiantes et UE.
Mais qu’est-ce qu’un ou une UE ?
Dans le domaine du travail social et d’autres programmes similaires (où iels peuvent être appelés « patients-partenaires »), les UE sont des personnes ayant été en contact avec des travailleuses sociales ou intervenantes sociales, et ayant vécu des expériences d’intervention. Leur implication dans les cursus universitaires permet de partager leur cheminement, contribuer à leur rétablissement et au changement social.
Les UE doivent avoir un certain recul par rapport à leurs expériences afin de pouvoir transmettre des éléments pertinents qui favoriseront la réflexion et l’apprentissage des futures travailleuses sociales. En effet, les personnes étudiantes en apprentissage peuvent poser diverses questions sur le vécu des UE, qui doivent donc être en mesure d’accueillir ces questions pour les analyser et même apporter des réflexions critiques de leur propre expérience. Dans le domaine du travail social, ce vécu est un savoir d’expérience.
Pourquoi les inviter à l’École d’été ?
Depuis 2015, l’intégration du savoir expérientiel des UE a marqué un tournant important à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke. Cette initiative visait à combler un fossé observé entre les discours académiques et la réalité vécue sur le terrain. À plusieurs reprises, les idéaux de participation et d’empowerment étaient promus sans une réelle participation des principales personnes concernées, c’est-à-dire les personnes usagères elles-mêmes. Ce constat a été l’instigateur d’un changement au sein de l’École de travail social, en intégrant la voix des personnes usagères dans les programmes de formation. Depuis, une série d’actions et de projets ont été mis en place pour structurer et renforcer les espaces d’implication des UE. Ces actions visent notamment à mettre en valeur leurs savoirs expérientiels aux côtés des savoirs scientifiques et pratiques, unifiant ainsi théorie et pratique dans un effort cohérent.
Ce faisant, l’École d’été est née de cette volonté de valoriser le savoir expérientiel des personnes usagères. Elle représente un espace sécuritaire où les connaissances se croisent et se complètent. Cette troisième édition ne se contentait pas de perpétuer cette tradition ; elle ambitionne également de générer des expertises scientifiques, de servir de modèle pour d’autres institutions académiques, et de perfectionner la compréhension et mise en œuvre de ce processus.
Mais qu’est-ce que le croisement des savoirs ?
Le croisement des savoirs à l’École d’été repose sur l’intégration du savoir d’expérience des UE, du savoir professionnel et du savoir scientifique. Cette approche permet de valoriser et de combiner ces perspectives diverses pour réfléchir sur les enjeux sociaux. En favorisant un dialogue constructif entre ces différentes formes de connaissances, l’École d’été facilite alors la construction de connaissances.
Le croisement des savoirs ne se réalise pas de manière instinctive ou naturelle ; il s’agit plutôt d’un processus long et graduel. L’intégration de différentes formes de savoirs requiert du temps, car les activités visant ce croisement engendrent souvent des réflexions et une remise en question des certitudes préexistantes. Reconnaître et valoriser la pertinence des autres connaissances peut se révéler ardu, nécessitant une ouverture à l’altérité. Ce processus est fondamental, car il n’enrichit pas seulement les connaissances générées par ces croisements, mais il est également essentiel en lui-même.
L’art pour vivre le croisement des savoirs
Ce cours a proposé une diversité d’activités intégrant théorie, réflexion et arts, permettant ainsi aux personnes étudiantes et aux UE de s’immerger progressivement dans le croisement des savoirs. Lors de l’École d’été, par exemple, les personnes participantes ont exploré la transition socioécologique et la justice climatique au sein d’un atelier animé par le professeur Jacques Caillouette. Bien que théorique et dense en concepts, cet atelier a pu rendre plus ardues les applications pratiques pour certaines personnes. En effet, Jacques Caouillette a notamment mis en lumière l’impératif de protéger les espaces bleus, essentiels pour les populations les plus vulnérables, mais cette idée pouvait demeurer floue pour autrui.
L’art a joué un rôle surprenant comme facilitateur pour relier ces concepts à la pratique. Simon, un étudiant, a partagé une photographie d’un lac cher à son cœur, lors d’une exposition (atelier de l’École d’été). Cette image a servi de point de départ pour revisiter les concepts théoriques du professeur Caillouette, rappelant l’importance de la préservation des espaces bleus. Pour certaines personnes, cette photographie a révélé l’impact personnel de ces lacs au quotidien : un lieu d’inspiration, de rafraîchissement, de ressourcement et de connexion avec soi-même. Cette prise de conscience partagée a renforcé le désir collectif de protéger ces espaces.
En croisant les connaissances scientifiques de Jacques, l’œuvre artistique de Simon et les discussions collectives, une réelle sensibilisation à la protection des espaces bleus a émergé, influençant les sphères intellectuelles, sociales et humaines. L’art, en facilitant la convergence des savoirs, a souligné l’urgence de la préservation de ces espaces sous l’angle de la justice climatique, illustrant parfaitement le concept de croisement des savoirs.
Mais pourquoi prendre part à l’École d’été ?
À la fin de l’École d’été, plusieurs personnes participantes ont souligné combien cette expérience s’est révélée exigeante, tant intellectuellement qu’émotionnellement, une dimension qu’il ne faut pas sous-estimer. Personnes étudiantes et UE, malgré leur bonne volonté, sont tous et toutes des sujets à des biais cognitifs et à des préjugés qui peuvent influencer leur perception de certaines réalités sociales. Engager ces diverses perspectives dans un dialogue constructif peut donc être un exercice délicat et sensible et nécessitant, de ce fait, une capacité à accueillir les réflexions et à se remettre en question.
L’accueil que requiert l’École d’été, tant envers soi-même qu’envers les autres, offre un terrain fertile pour repenser l’intervention sociale et certains enjeux sociaux. C’est dans ce cadre que les savoirs peuvent se croiser et s’enrichir mutuellement. Les dimensions intellectuelle, sociale et humaine s’entrelacent ainsi, promouvant une compréhension davantage nuancée de l’intervention sociale.
Crédits: Simon Beaupré