Un article paru sur le site de Radio-Canada Estrie a fait couler beaucoup d’encre récemment : le cas des intégrations en biologie en a scandalisé plus d’un. L’Université de Sherbrooke s’est retrouvée secouée par des révélations choc sur le déroulement de ces activités, qui, pourtant, sont largement encadrées par l’établissement. Alors que certains membres de la communauté étudiante soutiennent les faits rapportés à Radio-Canada, d’autres apportent des nuances. Le Collectif s’est entretenu avec différents acteurs afin de faire un portrait global de la situation.
Dégradation, humiliation, pression sociale… Ce sont des termes qui ont été employés par des personnes étudiantes s’étant confiées au journaliste Guillaume Renaud de Radio-Canada. À la suite d’un appel à témoignages lancé par le journal Le Collectif sur le groupe Facebook Communauté étudiante de l’UdeS, plusieurs personnes ont corroboré ces dires. En raison du contexte, bon nombre de personnes ont flanché sous la pression sociale et fait des choses qu’elles n’auraient jamais faites autrement. « C’était surtout du peer pressure. On se sentait forcés de faire des activités vraiment humiliantes, au point où c’est seulement plus tard que j’ai réalisé à quel point ce n’était pas correct », souligne Béatrice, intégrée en biologie en 2018.
« Je voulais tellement me faire des amis. Ce n’est vraiment pas mon genre de me baigner en sous-vêtements dans un lac insalubre avec des parfaits inconnus », poursuit-elle. Béatrice n’est pas la seule personne à avoir fait des choses pour se sentir acceptée, comme l’ont corroboré d’autres personnes interviewées. « Environ 85 % des étudiants ne viennent pas de l’Estrie. Les gens sont donc prêts à aller trop loin pour faire partie du groupe, ayant peur de ne pas développer de sentiment d’appartenance et d’être mis à l’écart », soutient Cynthia*, initiée pour sa part en 2019.
Il est à noter qu’une ex-personne étudiante a corrigé le fait qu’il ne s’agirait pas seulement des intégrations de biologie, mais également de ses quatre sous-programmes, considérant que plusieurs baccalauréats ont un cursus commun la première année. D’ailleurs, depuis quelques années, on note des efforts aux quatre coins du campus pour assainir les intégrations, en vue de corriger la mauvaise réputation qu’elles ont acquise à travers les années. À titre d’exemple, l’Association Générale Étudiante en Génie de l’Université de Sherbrooke (AGEG) et la faculté de génie ont travaillé conjointement pour multiplier les initiatives de prévention et ainsi éviter les débordements. La stratégie semble d’ailleurs avoir porté fruit.
Des avis mitigés
En réaction à la sortie de l’article, certains individus se sont dits soulagés que la vérité soit révélée au grand jour, tandis que d’autres ont critiqué Radio-Canada, jugeant qu’il s’agissait d’un article « sensationnaliste ». Plusieurs ont d’ailleurs émis la critique que le média aurait exagéré les faits.
À titre d’exemple, le texte mentionne que des étudiants ont été aspergés « d’urine animale », qui serait en réalité une urine synthétique, créée en laboratoire, selon plusieurs personnes étudiantes. Certains membres de la communauté universitaire ont également soulevé l’insistance du journaliste Guillaume Renaud pour parvenir à soutirer des informations, ou encore réussir à convaincre des étudiants de témoigner. D’autres ont également mentionné le désir d’élaguer les positions plus nuancées, ou encore de sélectionner seulement les informations les plus croustillantes. N’ayant pas été présent lors de ces entretiens, Le Collectif ne peut juger de la validité de ces propos.
Par ailleurs, plusieurs personnes ont tenu à mentionner qu’elles avaient apprécié leurs intégrations, et que le consentement était demandé à répétition durant les activités. Mais il s’agit d’une zone grise : « est-ce qu’on peut vraiment dire que le consentement est libre et éclairé quand tu risques de te faire insulter, rejeter ou intimider si tu dis non? » questionne une ex-initiée.
De surcroit, il est possible de s’interroger sur là où la responsabilité de l’Université se termine, et celle des individus membres du comité organisateur commence. La plupart des gestes décriés ont effectivement eu lieu sur le campus de l’UdeS, et ont été menés par les intégrateurs désignés par le comité organisateur, formé par l’UdeS… En revanche, certains des dérapages ont eu lieu à l’extérieur du campus, et aucun de ces défis humiliants n’a évidemment été préapprouvé par la sécurité de l’Université.
La problématique semble prendre sa source dans la culture des intégrations, du moins au sein du programme de biologie. En effet, les personnes les plus téméraires sont récompensées lors des intégrations, voire admirées pour leur dévouement. « Ils recrutent les participants les plus “games” pour faire partie de ce qu’ils appelaient la “blacklist”, qui deviennent les intégrateurs les plus agressifs l’année suivante », témoigne Béatrice. En procédant ainsi, une culture de l’extrême est perpétuée d’une année à l’autre.
Le recrutement accentue effectivement le problème, selon Cynthia. Elle-même soulève avoir entendu parler de la « BL », et insiste sur le fait que ce sont toujours les personnes les plus extrêmes qui se portent volontaires pour faire partie du comité organisateur pour l’édition suivante. Il ne s’agirait donc pas d’un « groupe clandestin », contrairement à ce que suggère l’UdeS.
L’UdeS informée
Plusieurs personnes de la communauté étudiante ont été fâchées, voire déçues par la réaction de l’Université de Sherbrooke dans l’article de Radio-Canada du 26 mars dernier. « Ça me choque tellement que l’uni fasse comme si elle ne savait pas. On nous mettait au défi d’aller voler des meubles dans les autres facultés. Ce n’est pas subtil, des étudiants qui se promènent avec un sofa sur le campus! » témoigne Béatrice.
Cynthia, rencontrée en entrevue, a témoigné pour sa part d’un fait choquant : la semaine suivant les intégrations, un sondage avait été acheminé aux personnes étudiantes y ayant participé. Elle a choisi de répondre directement au courriel envoyé par la Faculté des sciences, en exposant très explicitement son malaise. « […] des gens qui se baignent nus dans le lac des Nations, qui courent nus dans la rue, de l’urine d’orignal lancée sur une foule pas entièrement consentante, des initiateurs complètement saouls qui ne vérifiaient pas si les premières années rentraient chez eux ou s’ils allaient bien. […] Je suis vraiment déçue que cela se soit passé comme ça, puisque j’avais très hâte à cette semaine », peut-on lire dans son courriel envoyé à la faculté en septembre 2019.
« Il y a moyen de rencontrer les gens de notre cohorte sans se dénuder ou être témoin de comportements obscènes et immatures. J’espère que ces commentaires vous aideront à améliorer les intégrations afin que ce genre de scénario ne se reproduise pas. Je comprends que les jeunes sont jeunes et qu’ils veulent s’amuser, mais je ne considère pas que tout le monde fut respecté », conclut-elle. En guise de réponse, l’employée de la faculté a redirigé Cynthia vers le sondage, et lui a dit expressément « soyez assurée que ces commentaires sont bien notés et que nous veillerons à informer le comité organisateur du département de biologie […] afin de faire une rétroaction constructive et de tenter d’éviter que de telles situations se reproduisent. »
Prochaines étapes
En réaction à ces informations ayant fait surface, l’Université a annoncé mener une enquête. « L’Université déplore ces gestes inacceptables. Nous sommes déçus qu’un groupe clandestin ait commis de tels gestes dégradants », a réitéré Jocelyne Faucher, vice-rectrice à la vie étudiante, au Journal Le Collectif. Essayant de prévenir les dérapages, ce sont « près de 800 personnes étudiantes qui ont assisté à l’activité de formation spécifique pour les personnes organisatrices des activités d’intégration en 2023. Les facultés et le personnel du service de sécurité valident les programmes d’activités », a-t-elle ajouté.
La ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, Pascale Déry, a pour sa part réagi très vivement en apprenant la nouvelle. Elle a d’ailleurs laissé présager que l’option d’interdire les intégrations universitaires ne serait pas exclue.
Du côté des associations étudiantes de l’UdeS, il y a un consensus : la FEUS et le REMDUS avancent tous les deux que l’interdiction des intégrations serait une grave erreur, puisqu’elle contribuerait à une augmentation des activités clandestines, non encadrées par l’Université. La sensibilisation est également un point sur lequel les deux associations sont en accord. Gabrielle Crevier, directrice générale du REMDUS, a mentionné l’impact des témoignages pour marquer les esprits. Gabrielle Choinière, responsable à la condition étudiante de la FEUS, a quant à elle formulé un souhait à l’égard de l’Université, croyant qu’une vaste campagne de leur part serait plus efficace pour rejoindre les futures personnes étudiantes.
« Nous sommes convaincus que la formation et l’éducation demeurent les stratégies gagnantes, car il faut mentionner que la très vaste majorité des nouvelles personnes étudiantes apprécient les activités qui se déroulent sur nos campus », acquiesce l’UdeS.
En discussion avec les ex-intégrés, plusieurs idées sont également ressorties. L’offre d’activités alternatives, une gradation dans l’intensité des activités, ou encore une différenciation claire entre les activités officielles et officieuses pourraient être des solutions à envisager.
Mme Faucher réitère les ressources disponibles pour les personnes qui auraient vécus des gestes dégradants : les conseillères en matière de respect des personnes, Respect@USherbrooke.ca, le Service de sécurité, direction.smsp@USherbrooke.ca ou le service de psychologie, spo@USherbrooke.ca.
*Nom fictif.
Une version précédente de cet article mentionnait «un scandale il y a quelques années» au sein de la Faculté de génie. Cette information a été rectifiée.
Source: Facebook Association générale étudiante de sciences-AGES