Par Pierre-Nicolas Bastida Tousignant
La gratuité des études postsecondaires est un sujet de débat depuis des décennies. Non seulement a-t-elle été au centre de revendications d’associations étudiantes, mais elle est soutenue par certains courants progressistes. La gratuité pour eux est la meilleure garantie d’un système qui donne des chances égales.
Ses opposants jugent la mesure coûteuse et dont l’utilité marginale n’est pas significative compte tenu des frais de scolarité plus faibles au Québec. Ils ajoutent qu’il est préférable d’améliorer le régime des prêts et bourses. La gratuité pour eux est une fausse bonne idée. Bien que ce choix soit un optimum de Pareto qui pourrait, in extremis, s’avérer être un pas de plus vers l’égalité des chances, peut-on départager ces positions?
Du sondage aux données
En mars dernier, le conseil des membres de la Fédération étudiante de l’Université de Sherbrooke (FEUS) a pris position en faveur d’une migration des bourses perspectives vers une politique de gratuité scolaire. Un sondage étudiant, effectué durant la semaine du 7 au 13 mai derniers au campus de Sherbrooke, soulève cependant certains doutes concernant la viabilité de cette gratuité. Néanmoins, les données macroéconomiques obtenues des agences statistiques canadienne et québécoise laissent tout de même place au succès de cette mesure pour l’avenir.
Selon les données de l’Agence canadienne de statistique, le Québec possède des taux de participation en classe plus élevés chez les jeunes que le reste du Canada. En 2019, le taux de participation des jeunes de 19 à 24 ans au Québec était de 57,6 %, contre 47,1 % dans le reste du Canada. De même, le taux de participation des 25-34 ans au Québec était de 28,6 %, contre 24,9 % dans le reste du Canada. Ces taux de participation plus élevés suggèrent que le système d’éducation subventionné du Québec a réussi à rendre l’enseignement supérieur plus accessible à une gamme plus large de personnes étudiantes.
Selon le sondage effectué sur le campus principal, la gratuité scolaire au Québec augmenterait le taux de participation en classe dans seulement 5,56 % des cas, maintiendrait ce taux dans 44,44 % des cas et, dans 50 % des cas, verrait ce taux diminuer. Bien que l’étude comporte plusieurs biais, il faut se poser la question suivante : pourquoi étudie-t-on? Est-ce pour l’espérance de gain sur nos revenus futurs ou est-ce parce qu’on souhaite être un citoyen qui contribue à la collectivité? Dans le premier cas, il est certain que le coût lié aux études puisse être une source de motivation de ne pas échouer, de sorte à maintenir l’espérance de gains stables sur les revenus attendus dans le futur. Dans le second, le coût est une barrière sociétale qui empêche les individus de développer leur plein potentiel productif.
Ce sondage démontre qu’une forte proportion des répondants du campus principal possède une situation familiale permettant un soutien financier de leurs parents. Bien qu’il n’en soit pas forcément le cas uniquement parce que les parents en ont les moyens. C’est admissible de croire que la communauté étudiante ne serait pas nécessairement dans une meilleure situation si les frais de la scolarité du troisième cycle étaient totalement subventionnés plutôt que partiellement. Actuellement, il faut comprendre que le coût réel, non subventionné, d’un trimestre de 12 crédits, à l’université de Sherbrooke, est d’environ 7 800 $. Soit 650 $ par crédit. Aujourd’hui, les factures pour le trimestre d’été sont arrivées, affichant 93,23 $ par crédit, soit 1 118,76 $ pour un trimestre de 12 crédits, pour une personne aux études. Ce qui représente une facture approximative de 6,21 $ par heure de classe. Serions-nous plus ou moins incités à être présents en classe si l’on payait le réel prix de notre éducation universitaire? La question se pose.
Outre ces taux de participation plus élevés, les données de l’Agence de la statistique du Québec suggèrent que le Québec a des taux de diplomation inférieurs à ceux du reste du Canada. Pour la cohorte de 2013-14, le taux de diplomation en six ans, pour les personnes étudiantes de premier cycle à temps plein au Québec, était de 65,8 %, contre une moyenne nationale de 68,1 %. De même, le taux de diplomation en quatre ans pour la cohorte de 2016-17 était de 44,6 % au Québec, comparativement à la moyenne nationale qui se situait à 47,4 %. Ces taux de diplomation plus faibles peuvent être causés par de nombreux facteurs, incluant la forte proportion de personnes aux études à temps partiel au Québec, la structure unique du système d’éducation québécois et d’autres facteurs sociaux et économiques.
À quoi s’attendre?
Dans un modèle où la gratuité scolaire serait instaurée, le gain notable serait sa contribution à réduire l’accélération des inégalités socio-économiques dans notre société. Elle permettrait à toutes et à tous d’explorer pleinement leur potentiel académique sur les bancs d’école. Malgré cela, le coût possible lié à cette mesure pourrait être que certains individus profitent de la gratuité pour retarder leur diplomation ou pire ne jamais pleinement obtenir un diplôme de sorte à bénéficier des avantages fiscaux du statut étudiant. Bien qu’a priori les avantages semblent être plus importants que les coûts, une étude approfondie du sujet sera nécessaire afin d’obtenir une réponse claire et satisfaisante sur le sujet de la gratuité scolaire.
En conclusion, cette analyse suggère qu’il y a des différences significatives entre les systèmes d’éducation québécois et ceux du reste du Canada. Bien que le Québec possède un taux de participation plus élevé, il possède aussi le plus faible taux de diplomation. Ces différences peuvent être causées par de nombreux facteurs, incluant la structure unique du système d’éducation québécois et la forte proportion des études à temps partiel dans la province. Pour obtenir une meilleure compréhension de ces données, plus de recherches seront nécessaires afin de mieux cibler les facteurs qui contribuent à ces différences. Bien comprendre permettra d’identifier des stratégies nous permettant d’augmenter les taux de diplomation au Québec. Néanmoins, l’analyse suggère que le système d’éducation subventionné du Québec s’est montré être un succès en rendant l’éducation aux cycles supérieurs accessible à un plus grand nombre. Ce seul fait pourrait avoir d’importantes implications sur le développement socio-économique de notre province.
Crédit image @Pierre-Nicolas Bastida Tousignant