Par Pierre-Alexandre Desrosiers
Dans le cadre de son lancement, le Comité Diversité de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke a invité trois avocats du bureau Clyde & Co afin qu’ils présentent la réalité de terrain concernant la diversité dans le milieu des avocats et des grandes firmes.
Le Comité Diversité est une initiative étudiante qui a deux missions principales. La première est de sensibiliser les étudiants en droit face aux problèmes qui touchent à la diversité et à son respect, et la deuxième est de favoriser l’éducation des futurs avocats et avocates sur les réalités qui touchent la profession et les questions d’intégration des minorités culturelles, ethniques et sexuelles. À ce sujet, Karl Boulanger, un des instigateurs du projet, expliquait que le milieu juridique n’est relativement pas ouvert d’esprit en ce qui concerne la diversité et que c’est entre autres pour cette raison que le comité a vu le jour.
C’est principalement dans cette deuxième mission que s’inscrit la conférence qui a eu lieu le 29 janvier dernier à la Faculté de droit. Ainsi, Me Prachi Shah, Me Ada Wittenberger et Me Jean-Charles Ruel se sont déplacés afin de faire part de leurs expériences professionnelles et personnelles en matière de diversité.
Un retard à rattraper pour la profession d’avocat
De récentes études présentées par les trois avocats de Clyde & Co présentent un constat-choc sur la réalité de la diversité en milieu juridique. Les différents groupes minoritaires, qu’ils soient de nature culturelle ou sexuelle, ont de la difficulté à s’affranchir et à progresser dans les postes d’importance au sein de grands cabinets ou simplement de faire leur place. Au Québec, 6 % des avocats sont issus de groupes culturels minoritaires alors qu’ils représentent 13 % de la population. Le portrait montréalais n’est pas mieux : 8 % des avocats pour 20 % de la population. Outre la représentation en nombre, les différences de traitement entre les avocats issus de minorités visibles et la majorité sont frappantes. Par exemple, la différence de salaire d’entrée entre un avocat de minorité et un qui ne l’est pas est de 6 450 $.
La disparité entre les genres est également quelque chose qui touche la profession d’avocat. Le projet Justicia est une initiative visant à améliorer la condition de la femme en milieu juridique. Le projet a notamment permis d’exposer la sous-représentation des femmes dans le milieu privé et dans les postes de partenaires au sein de firmes d’avocats. Effectivement, les données montrent que bien qu’elles représentent 65 % des finissants au Barreau du Québec, les femmes ne représentent que 38 % des avocats au privé et occupent seulement 27 % des postes de partenaires. Cette réalité s’illustre également dans les comportements vis-à-vis des femmes qui peuvent à certains moments se traduire par des commentaires disgracieux et réducteurs.
La notion d’égalité, qu’en est-il?
Avec les données dévoilées, une question se pose : pourquoi les traitements entre différents groupes culturels, ethniques ou sexuels ne sont-ils pas égalitaires? Plusieurs explications peuvent en ressortir, notamment le caractère très conservateur de la profession, l’élément générationnel et finalement la question du « fit ». La question du « fit » concerne le sentiment d’inclusion d’une personne issue d’une minorité quelconque au sein de la firme en question. Est-ce qu’elle adhère aux mêmes valeurs, aux mêmes croyances, aux mêmes mœurs ou encore au même mode de vie des autres avocats de la firme? La notion de « fit » est souvent soulevée lors des entrevues ou lorsqu’une personne décide de ne finalement pas travailler dans une certaine firme en affirmant ne pas « fitter » avec l’équipe.
Un cas bien connu est celui d’Hadiya Roderique, une jeune avocate ayant des origines des caraïbes et qui a travaillé sur Bay Street à Toronto dans une grande firme. Elle évoquait notamment qu’elle ne se sentait pas à sa place au sein d’une boîte d’avocats de race blanche avec qui elle n’avait pas d’intérêts communs. Le processus de sélection, outre le relevé de notes et les compétences professionnelles, finit par être marqué par la préférence personnelle. La notion de « fit » devient donc très subjective d’une personne à l’autre et d’un milieu à l’autre. Lors de la conférence, Me Prachi Shah a justement identifié cette notion comme étant un des grands facteurs limitants à la progression de la diversité dans le milieu juridique.
Un vent de changement
Bien que le portrait paraisse glauque, les choses commencent à changer. Une multitude d’initiatives tant sur le plan social que professionnel ont vu le jour. Le projet Panorama est un projet similaire au projet Justicia, mais qui vise à établir une plus grande diversité ethnoculturelle et une véritable inclusion dans la profession. Outre les initiatives, l’arrivée de nouveaux jeunes avocats moins conservateurs que la vieille garde aide à apporter un changement dans les mentalités, une conscientisation grandissante et une plus grande ouverture d’esprit. Les trois avocats présents à la conférence admettent qu’il reste du chemin à faire, mais que la situation actuelle demeure très positive et permet d’entrevoir un avenir prometteur pour la profession en ce qui concerne la diversité sous toutes ses formes.
De plus, les mouvements de grandes dénonciations en ce qui concerne le harcèlement et l’inconduite sexuelle dans plusieurs milieux que ce soit à Hollywood, en politique canadienne et dans le milieu juridique alimentent le changement au niveau de la société.
Finalement, Karl Boulanger, Catherine Decoste-Mahseredjian, Raoul Saint-Éloi, Cédrik Pierre-Gilles et Camille Bélanger, les organisateurs de l’événement et membres du Comité Diversité, tiennent à remercier tous ceux et celles qui était présents à la conférence et plus particulièrement Me Prachi Shah, Me Ada Wittenberger et Me Jean-Charles Ruel pour s’être déplacés afin de donner cette présentation et d’engager un dialogue avec les futurs avocats et avocates.
Crédit Photo @ Comité Diversité de la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke