Par Véronik Lamoureux
Passer à la pharmacie pour récupérer une prescription est devenu un geste simple au fil des décennies. Toutefois, ce que peu savent, c’est que chacun des médicaments disponibles sur l’étagère derrière le comptoir est le fruit d’années de recherche acharnée. Le médicament qui vous est prescrit se trouve à être le seul survivant d’un long processus de recherche impliquant une myriade de molécules potentiellement intéressantes.
L’institut de pharmacologie de l’Université de Sherbrooke à la tête du projet Acuité Québec.
Comme l’adage le dit, « pour beaucoup d’appelés, il y a souvent peu d’élus ». Il en va de même pour la recherche pharmaceutique quand vient le temps de développer une nouvelle molécule candidat médicament. En effet, la découverte de nouveaux médicaments doit suivre un continuum long et fastidieux. En cas de réussite, on estime que leur développement prend entre 10 et 15 ans et que le coût total des recherches nécessaires s’élève à environ deux milliards de dollars. Cependant, près de 9 fois sur 10, des effets secondaires imprévus ou une efficacité insuffisante se manifestent à la toute fin du processus et ces molécules n’aboutissent jamais en pharmacie, jetant ainsi à l’eau tous les efforts investis.
L’institut de pharmacologie de Sherbrooke
C’est pour optimiser ce processus, mais aussi pour diminuer les coûts de la recherche qu’un financement de 27 millions de dollars a été octroyé à l’Institut de pharmacologie de Sherbrooke (IPS) afin d’appuyer les activités de recherche d’une équipe multidisciplinaire dans les domaines de la pharmacologie, de la biophysique et de l’intelligence artificielle. Le projet, comportant 4 objectifs, implique plusieurs experts de l’Université de Sherbrooke, ainsi que plusieurs chercheurs de l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC) et de l’Institut québécois d’intelligence artificielle (MILA). Leur mission? Améliorer l’acuité du processus de découverte du médicament, notamment en intégrant le potentiel de l’intelligence artificielle (IA) à toutes les étapes du processus de recherche.
Objectif 1 : l’intelligence artificielle au service de la recherche en pharmacologie
Si pour plusieurs, intelligence artificielle rime avec science-fiction, ce n’est pas de cette manière qu’elle interviendra en pharmacologie fondamentale. En fait, l’expertise en IA du professeur Yoshua Bengio du MILA permettra, en s’alliant aux expertises des professeurs Philippe Sarret et Pierre-Luc Boudreault de l’IPS, de concevoir des méthodes innovantes pour dessiner de nouvelles molécules, de fabriquer des outils pharmacologiques plus performants et de créer des calculs algorithmiques pour optimiser l’action des médicaments.
Objectif 2 : des biosenseurs avec des dons de voyance
Depuis quelques années, les biotechnologies ne cessent de s’améliorer, en particulier grâce au développement rapide de l’IA. Par exemple, à l’IPS, le professeur Philippe Dauphin-Ducharme explore des outils permettant de suivre la concentration d’une molécule plus volumineuse telle que le glucose en direct dans le corps d’un patient diabétique grâce à des biosenseurs très puissants. La visualisation en temps réel de ces concentrations dans le sang permet d’une part de mieux ajuster la médication du patient, et d’autre part d’analyser de manière plus exhaustive les réponses désirées et indésirables pour prédire, avec l’assistance de l’IA, la réponse chez les patients. Avec l’expertise du professeur Michel Bouvier de l’IRIC, le projet Acuité Québec souhaite faire un pas de plus en créant la prochaine génération de biosenseurs au niveau cellulaire pour étendre ces suivis à des molécules plus petites et permettre un suivi de l’action des médicaments dans le corps. Grâce à ces technologies, le professeur Martin Audet, spécialiste de biologie structurale à l’IPS, pourra étudier l’action des médicaments sur différents récepteurs du corps humain.
Objectif 3 : « imager » l’action des médicaments chez les patients
À ce jour, on ignore encore la raison exacte de l’efficacité de plusieurs médicaments sur le marché. C’est le cas d’une molécule très connue, soit le Métylphénidate (Ritalin, Concerta, Biphentin pour le TDAH). Si l’on observe chez les patients de nettes améliorations de la concentration, de la régulation de l’impulsivité et de l’hyperactivité, les chercheurs ne s’accordent pas sur la raison précise de ces progrès. L’augmentation de la dopamine (hormone de la motivation) dans les réseaux dopaminergiques du cerveau est l’hypothèse privilégiée, mais les chercheurs s’expliquent encore mal une partie de l’action de la molécule. La création d’outils d’imagerie moléculaire plus précis avec l’aide de l’IA dans le cadre du projet pourrait permettre de saisir la dynamique des molécules de manière personnalisée chez les patients, ce qui faciliterait le repérage d’éventuels effets secondaires, et ainsi, accélèrerait la recherche. C’est d’ailleurs un défi sur lequel des chercheurs de l’IPS au Centre d’imagerie moléculaire de Sherbrooke (CIMS) (Pre Brigitte Guérin, Prs Roger Lecomte et Martin Lepage) se penchent quotidiennement.
Objectif 4 : des calculs du futur spécialisés pour le domaine pharmaceutique
Comme c’est le cas pour les biosenseurs, une nouvelle génération de calculs et de langages de programmation est en train de voir le jour. Que ce soit par l’entremise de l’IA ou des calculs quantiques, de nouvelles méthodes plus précises et efficaces ne demandent qu’à être appliquées au domaine de la pharmacologie. C’est d’ailleurs l’un des quatre objectifs poursuivis par les partenaires faisant partie du projet.
Un Québec autonome pour la création de médicaments
Si la pandémie de COVID-19 a enseigné une chose à nos dirigeants, c’est la nécessité de devenir autonome en matière de développement et de production de médicaments. Pour ce faire, plusieurs investissements ont été annoncés par les instances gouvernementales, entre autres le projet Médicament Québec qui a pour objectif de relancer la filière du médicament au Québec, projet piloté par l’IRIC. Si le consortium Acuité Québec travaille sur une manière d’accélérer la découverte et la recherche du médicament. Médicament Québec a quant à lui pour objectif de créer les plateformes et les outils nécessaires pour faire rouler cette industrie qui tourne au ralenti depuis trop longtemps au Québec. Avec ces investissements, tout porte à croire que d’ici quelques années, les cerveaux d’ici permettront au Québec de se positionner de façon intéressante parmi de gros joueurs de l’industrie.
Crédit photos @ Mathieu Lanthier (photographe de la FMSS)