Troisième lien : où en sommes-nous? 

Après une foule de rebondissements, c’est finalement le 13 juin dernier que le Premier ministre Legault a donné le feu vert au projet de troisième lien autoroutier dans la région de la Capitale-Nationale. Cette annonce est survenue alors que le bureau infra de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) venait tout juste de rendre publique sa plus récente étude sur le dossier. Comble de l’ironie : son rapport s’oppose au projet de troisième lien sous la mouture proposée par le gouvernement Legault. 

Dans son rapport, la CDPQ infra propose plutôt de miser sur les transports en commun, jugeant qu’un troisième lien autoroutier ne permettrait pas de désengorger significativement le réseau automobile. Comme mentionné par Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra, « l’analyse conclut que les gains de mobilité ne justifient pas, pour aucun des corridors, la construction d’un lien routier ». 

De son côté, le gouvernement Legault justifie son choix de tout de même aller de l’avant par la « sécurité économique », proposant qu’il soit « irresponsable de n’avoir qu’un seul lien permettant le transport de marchandises dans l’Est du Québec ». La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, a cité en exemple le pont de l’Île d’Orléans et le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine comme exemples de mauvaise planification d’infrastructures stratégiques de transport, souhaitant ne pas répéter les erreurs du passé. 

Là où le bât blesse, c’est qu’il ne s’agit pas de la première fois où le gouvernement fait volte-face sur le dossier.  

Une promesse électorale 

Le troisième lien entre Québec et Lévis, sous forme de projet autoroutier, était une promesse faite par la Coalition avenir Québec (CAQ) lors des élections de 2018. Ayant promis de mener ce projet lors d’un premier mandat, le projet n’a toujours pas vu le jour 6 ans plus tard. Par ailleurs, le parti de François Legault avait fait d’importants gains dans la région de la Capitale-Nationale lors du suffrage de 2018. 

Au fil du temps, l’idée est maintenue, mais la forme varie grandement : pont, tunnel, parfois avec, parfois sans voies réservées aux transports collectifs. Mais, cinq ans plus tard, le gouvernement caquiste se résout à changer son fusil d’épaule après avoir été vivement remis en question par les partis d’opposition. En avril 2023, la ministre Guilbault annonce l’abandon du volet autoroutier du projet, divulguant qu’« aucune donnée ne justifie un nouveau lien autoroutier ». 

En octobre 2023, une élection partielle prend place dans la circonscription de Jean-Talon, à Québec. À la suite de la démission de la députée caquiste Joëlle Boutin, le résultat de la partielle a l’effet d’un électrochoc pour François Legault : la popularité de son parti est en chute libre dans la région de la Capitale-Nationale. Jugeant probablement que le changement de discours sur le troisième lien est en cause, le Premier ministre a par la suite ressuscité l’idée d’un nouveau projet autoroutier entre les deux rives.  

Un dossier contentieux? 

Afin d’y voir plus clair, la CAQ a mené une consultation de son propre chef pour tenter de comprendre la position des citoyens de Québec sur le dossier du transport. Jugée non-scientifique par plusieurs, l’analyse du gouvernement proposait que 67 % de la population locale considère « qu’il y a un problème majeur de mobilité dans la Capitale-Nationale et dans Chaudière-Appalaches ». L’étude maison avançait également que 7 personnes sur 10 sont en faveur d’un nouveau lien entre Québec et Lévis, et que 6 personnes sur 10 sont ouvertes à ce que ce lien soit dédié seulement au transport routier. 

Parallèlement, un autre sondage scientifique a été mené par la firme SOM de façon indépendante afin de relativiser les résultats. Les constatations sont alors bien différentes : seulement 46 % de la population considère qu’il existe un problème de mobilité majeur dans la région. Sur la question du troisième lien, les conclusions sont encore plus disparates : 82 % des gens sondés croient qu’un lien interrives avec du transport en commun participerait à résoudre le problème, mais seulement 38 % des personnes affirment qu’un lien exclusivement routier mènerait au même résultat. 

Si l’on se fonde sur la science, il est alors bien clair que l’acceptabilité sociale du troisième lien est très variable en fonction de la nature du projet. Si certaines voies devaient être réservées à un transport en commun structurant, la proposition du gouvernement caquiste serait alors beaucoup plus attrayante. 

Un projet structurant 

Pour sa part, la CDPQ infra propose de miser sur l’élaboration d’un vaste réseau de transports en commun, en concordance avec la volonté de la population locale. Le tracé suggéré intègre à la fois des voies de tramway et des parcours de services rapides par bus (SRB). Des lignes d’autobus express et à haute fréquence viendraient compléter le portrait, avec la possibilité de construire un tunnel à long terme, mais qui serait dédié au tramway si la densification urbaine le justifie.   

Pour plusieurs, la proposition de la CDPQ infra n’est pas une surprise. Le tracé proposé pour le tramway est à l’image de ce que l’ancien maire Labeaume avait proposé déjà en 2018.  

S’il venait à voir le jour, le plan « Circuit intégré de transports express » (CITÉ) de la CDPQ infra permettrait le développement de 95 kilomètres de tracés de transport collectif. L’institution estime que près de 40 000 personnes utiliseraient ce service sur une base quotidienne, justifiant plus aisément le coût du projet que pour la construction d’un troisième lien autoroutier. En effet, le plan de mobilité CITÉ serait construit sur une période de 15 ans, représentant environ 15.48 milliards de dollars. En contrepartie, les études sur le coût de construction d’un lien autoroutier oscillent entre 2 et 11 milliards, selon les variantes.  

Il ne reste donc plus qu’à voir quel nouveau lapin le gouvernement pourra nous sortir de son chapeau… Considérera-t-il les multiples études sur le troisième lien ? Peut-on anticiper un nouveau retournement de situation ? Et surtout… Le projet pourrait-il vraiment maintenir la CAQ dans la région de la Capitale-Nationale ?  


Source: Wikimedia Commons

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