Par Josiane Demers
Le 9 juillet dernier, l’intensification des manifestations au Sri Lanka a mené à l’occupation du bureau et de la résidence du président Gotabaya Rajapaksa. Ce dernier a pris la fuite pour se réfugier aux Maldives. Se pliant enfin à la volonté du peuple, il a remis sa démission le 14 juillet. C’est Ranil Wickremesingh, le premier ministre, qui a été désigné comme président par intérim jusqu’à son élection officielle par le parlement le 20 juillet suivant. Ce dénouement est loin d’apaiser la grogne des manifestants qui revendiquent, depuis avril, un changement de garde complet.
Dès son indépendance en 1948, le Sri Lanka, une ile de l’Asie du Sud avec une population d’environ 23 millions de personnes, vit des difficultés sociales, économiques et politiques importantes.
Indépendance et guerre civile
À la fin du 18e siècle, les Britanniques ont envahi le Sri Lanka, qu’ils appelaient alors Ceylan. Ils ont privilégié, dès le départ, les Singhalais bouddhistes (environ 75 % de la population) en leur offrant d’importants postes au pouvoir. C’est en 1948 que la Ceylan a obtenu son indépendance. Selon le Harvard International Review, le climat social et économique était déjà fragile, alors que la minorité tamile hindoue (environ 11 % de la population) était déjà grandement désavantagée sur plusieurs plans.
En 1970, le gouvernement de Sirimavo Badranaike a essayé de réformer les institutions pour aider les communautés plus pauvres, sans toutefois ajouter des mesures suffisantes pour améliorer la situation économique.
En 1972, le territoire est finalement devenu la République du Sri Lanka et une nouvelle constitution a été adoptée, comme mentionné dans Brittanica. Toutefois, les problématiques politiques, économiques et sociales ne se sont pas résorbées, ce qui mènera à une guerre civile entre le gouvernement majoritairement singhalais et les Tigres de libération formée par les Tamils hindous. Ce conflit s’étendra sur 25 ans, soit de 1983 à 2009. Malgré la fin des combats, la situation au pays ne s’est pas significativement améliorée.
Situation économique
Le gouvernement sri lankais associe présentement ses problèmes économiques à la pandémie et une série d’attentats commis en 2019 qui aurait fait fuir les touristes. Cependant, plusieurs experts jettent le blâme sur la gestion défaillante de celui qui est maintenant l’ex-président, Gotabaya Rajapaksa, et sur son gouvernement, comme rapporté par BBC News.
Après la guerre civile, le gouvernement a adopté une position protectionniste au détriment du commerce international. Le coût des importations est rapidement devenu exponentiellement plus élevé que les revenus d’exportation, soit une disparité de plus de 3 milliards de dollars américains. Cela a engendré une autre problématique : celle du manque de devises étrangères.
Depuis 2019, Rajapaksa a pris des décisions majeures qui ont mené à la situation actuelle. En effet, le président a offert une baisse de taxes, en dépit des avertissements du Fonds Monétaire international, qui a provoqué une perte de revenu de plus de 1,4 milliard de dollars pour son gouvernement.
Finalement, au début de 2021, le gouvernement a banni l’importation de fertilisant pour les agriculteurs, qui ont dû se débrouiller avec des produits organiques locaux. Beaucoup de récoltes ont alors été perdues et le pays s’est vu forcé d’importer ce qu’il manquait à la population, ce qui a exacerbé davantage la pénurie de devises étrangères.
Selon Aljazeera, le Sri Lanka doit plus de 51 milliards à ses créanciers étrangers. Les pays du G7 soutiennent le pays dans ces démarches pour réduire la dette. La Chine, à qui l’État doit 6,5 milliards, considère restructurer ses prêts, la Banque mondiale a octroyé 600 millions de dollars à l’ile et l’Inde lui a offert plus de 1,9 milliard de dollars.
Entre janvier et juin 2022, l’inflation est passée d’environ 14 % à 54,6 %.
Situation sociale et politique
Évidemment, une situation économique précaire de la sorte occasionne son lot de difficultés pour la population. En effet, les communautés doivent composer avec des coupures d’électricité qui peuvent durer jusqu’à 13 h par jour, en plus d’un manque alarmant de nourriture, de médicaments et d’essence.
BBC News rapporte que la pénurie d’essence a mené à une augmentation drastique du coût du pétrole et du diésel. En juin, le gouvernement a banni l’utilisation d’essence pour les raisons non essentielles pendant deux semaines. Les écoles sont actuellement fermées et la population a été incitée à travailler à distance.
Ce climat économique actuel enflamme, avec raison, les esprits au Sri Lanka. C’est en avril dernier, à Colombo dans la capitale nationale, que les manifestations ont commencé. Elles se sont étendues, peu à peu, partout à travers le pays.
Le mouvement citoyen réclamait la démission du président Rajapaksa, ce qui s’est produit. Toutefois, il demandait aussi un remaniement politique loin de l’entourage de ce dernier, comme l’indique le Counsil of Foreign Relations. Il faut savoir que la famille Rajapaksa représente pratiquement une dynastie au Sri Lanka. Elle gravite autour du pouvoir politique depuis des décennies.
Après une victoire de 134 votes sur une possibilité de 223 au parlement remportée par Wickremesingh, ancien premier ministre et bras droit de Rajapksa, l’establishment demeure au pouvoir.
« Le principal candidat de l’opposition, Sajith Premadasa, s’était pourtant retiré au profit de Dullas Alahapperuma, issu des rangs du parti des Rajapaksa, mais perçu comme moins contestable », indique-t-on dans Le Monde. Cela dans l’espoir de voir un vrai changement au gouvernement. Cette stratégie n’aura pas porté fruit.
Évidemment, les manifestants ne sont pas satisfaits du résultat et ont peu d’espoir pour la suite. Selon des propos relayés par CNN, le mouvement citoyen ne compte pas abandonner le combat. Il considère qu’il est temps d’élire un président « du peuple » et de procéder à un remaniement majeur dans les institutions politiques.
La situation demeure inquiétante au Sri Lanka. L’histoire nous a souvent démontré qu’il est difficile pour un État de se relever d’une crise économique lorsque le climat politique est à ce point instable. Il faudra attendre encore quelque temps avant de pouvoir observer les stratégies qu’adoptera le pays pour se sortir de cette crise.
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