Nos étudiants ont du talent : Ce que tu dois savoir, Naomi

Par Sarah Baril-Bergeron, Océane Beaudoin et Marie-Pierre Demers

Nous sommes Sarah Baril-Bergeron, Océane Beaudoin et Marie-Pierre Demers, finissantes au Baccalauréat en études littéraires et culturelles. Dans le cadre du cours Littérature autochtone du Québec (ELC 309), nous avons rédigé Ce que tu dois savoir, Naomi, qui est un recueil de textes ayant pour thématique la maternité. Ce travail de session a été écrit en réaction à l’œuvre de Naomi Fontaine, Shuni (2019), à partir de laquelle nous avons créé une sorte de pastiche. En effet, dans son ouvrage, Fontaine s’adresse à Julie, une amie d’enfance allochtone. Nous sommes de jeunes femmes allochtones et nous adressons à une autrice autochtone : Naomi Fontaine.

Un projet inspiré par des autrices

Notre projet consiste en deux lettres d’opinion de type essai littéraire, intercalées d’un texte de fiction. Ces lettres offrent divers points de vue sur le fait de devenir mère en passant par le souhait de garder son enfant, l’incertitude de la maternité et le refus de devenir mère.

De surcroît, nos réflexions ont été nourries par des sources externes comme Je suis une maudite sauvagesse (1976) d’An Antane Kapesh, qui est cité dans Shuni et d’autres romans de Fontaine : Kuessipan (2011) et Manikanetish (2017). Puis, nous avons effleuré certains sujets comme les filles-mères et la possibilité d’un féminisme autochtone.

La culture du féminisme

Sur ce, nous aimerions vous partager des extraits de notre travail, en espérant vous donner envie de le lire dans son entièreté :

Je peux bien te l’avouer à toi, Shuni, je ne suis pas féministe. Je ne ressens pas le besoin de me défendre en tant que femme. Je n’ai jamais douté de ma valeur de femme. On ne m’a pas éduquée ainsi. (Fontaine, 2019, p. 112)  

Ce passage m’a choquée de prime abord, surtout les mots « je ne suis pas féministe. » Avant de lire Shuni, je pensais qu’une femme ne se disant pas comme telle était soit une ignorante ou une femme qui veut se faire accepter par les hommes. 

[…] Le féminisme dans la culture innue n’apparaît peut-être pas comme une nécessité, puisqu’il ne s’agit pas d’une communauté patriarcale et c’est pour le mieux. 

[…] Je croyais naïvement que le féminisme était pour tout le monde, puisque j’avais déjà entendu parler du Black feminism, mais, tout le monde n’est pas blanc ou noir. Peut-être serait-il plus juste de parler « d’action-mère » :

One aspect of traditional culture that Native women cite as crucial to their endeavor is what Patricia Hill Collins calls “motherwork.’’ Many Native women valorize their ability to procreate and nurture their children, communities, and the earth as aspects of motherwork. (Udel, 2001, p. 43)

La maternité sociale

Cette idée de materner la population dans l’optique de préserver sa culture se trouve dans ton roman Shuni. Notamment lorsque tu racontes la fois où tu as pris la parole sur les enjeux autochtones lors d’une conférence (128-129). Peut-être que c’est ça, être mère : résister, défendre ses idéaux, élever son enfant selon ses valeurs. De mon côté, je ne peux m’empêcher de percevoir la maternité comme une soumission, une perte de contrôle. […]

 J’espère que j’ai tort.

Marie-Pierre Demers

Suis-je la seule à ne pas bien saisir tes propos lorsque tu dis : « devenir mère est une chose simple. » (Fontaine, 2019, p. 115) ? Est-il si simple de devenir mère ? Il y a trois mois, j’ai appris que j’étais enceinte et déjà le regard sur mon propre corps a changé. Depuis, j’ai l’impression que tout le monde remarque mon ventre arrondi. Tous les matins, je me regarde dans le miroir, je pose doucement mes deux mains sur mon ventre, je souris. Est-ce que je serai une bonne maman-ourse ? 

Tu ajoutes aussi que « [l]e fait de donner la vie est une chose naturelle. On n’en fait pas toute une histoire. Au contraire, on accueille la nouvelle comme s’il s’agissait d’une continuité au fait de devenir femme. » (Fontaine, 2019, p. 115) Chez moi, je pense que personne n’était prêt à recevoir cette nouvelle. […]

Les mains crispées sur mon ventre, j’ai regardé ma mère aller et venir de la table à manger à la cuisine. Elle n’osait pas me regarder. « L’enfant fait partie du quotidien, il ne le bouscule pas, il s’y intègre, comme s’il avait été prédestiné. » (Fontaine, 2019, p. 115) Pourtant, ma mère a passé le reste de la soirée à me raconter tout ce que mon arrivée avait changé dans sa vie. Son accouchement risqué, son sommeil bousculé, son corps endolori. Mon père est resté muet, feignant d’être trop absorbé par le match de hockey.

Océane Beaudoin (texte fictif)

Tu présentes toujours ces « filles au ventre rond » comme étant fortes, solides, plutôt qu’étant des victimes. (Papillon, 2019, p. 41) Je dois avouer partager ce préjugé selon lequel tomber enceinte à un tel âge n’est que source de problème. Moi-même victime de la société allochtone dans laquelle j’ai grandi, il m’est difficile d’avoir une opinion différente. D’autant plus que je ne pense pas vouloir d’enfant un jour. Tu vois, je n’ai jamais ressenti ce désir de donner la vie, de sentir un mini-moi se former et grandir dans mon ventre. Si je tombais enceinte, je crois que je partagerais ton avis initial dans ton roman Manikanetish, lorsque tu apprends que tu n’es plus tout à fait seule dans ton corps :

Comment ai-je pu être aussi stupide ? Aussi irresponsable ? Manquer autant de jugement ? […] À l’intérieur de moi, un truc lourd, encombrant, qui me fait mal. Et mon cœur qui ne cesse de battre à un rythme fou, le goût des larmes dans ma bouche et encore cette douleur. Pénétrante. (Fontaine, 2017, p. 116)

Je m’imagine que, tout comme toi, je percevrais cet être comme un intrus, un parasite, une tumeur qu’il faudrait absolument éradiquer. […]

Mais je me demande ; tu déclares que d’où tu viens, les filles ne se font pas avorter. Est-ce ça, la « rage de vivre ou de cesser de mourir » ? Est-ce là une résistance ultime à la colonisation ?

Lien vers le texte complet:

https://www.usherbrooke.ca/dall/fileadmin/sites/dall/espace-etudiant/Productions_etudiantes/2023/Ce-que-tu-dois-savoir-Naomi_Baril-Bergeron-Beaudoin-Demers.pdf


Crédit image @Marie-France Coallie

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